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IV

Il ne suffit pas, d’ailleurs, de voter un principe et de décider, comme l’a fait la chambre des députés le 10 juin 1882, que « les juges seront élus ; » il faut encore décider comment ils seront élus. Or je n’aperçois que trois moyens d’organiser le régime électif ; il faut recourir soit au suffrage universel direct, soit au suffrage restreint et spécial, soit au suffrage universel à deux degrés. Or il est aisé de démontrer que chacun de ces trois systèmes se heurte à des obstacles insurmontables.

On assure que M. Achard, député de la Gironde, a proposé de faire appel au suffrage universel direct. De tous les projets, celui-ci nous paraît être le plus dangereux et le plus impraticable. Parmi les inconvéniens qu’il présente, il en est un qui saute aux yeux d’abord. Le suffrage universel et direct n’est pas capable de discerner, entre ceux qui aspirent aux fonctions judiciaires, les bons et les mauvais candidats.

C’est là, dira-t-on peut-être, une impertinence, et la compétence du suffrage universel direct est absolue : puisqu’il est apte à nommer les députés, il l’est à tout faire et singulièrement à nommer les juges. La conséquence n’est pas forcée. Le peuple ne sait peut-être pas avec précision lequel, entre deux diplomates, connaît le mieux la politique des cabinets étrangers et fera le plus sûrement prévaloir les intérêts français dans un conflit international, ni lequel, entre deux financiers, connaît le mieux le mécanisme des divers impôts et mettra le plus sûrement un budget en équilibre ; mais il peut, du moins, manifester sa volonté sur un certain nombre de questions générales. Nous voulons une constitution républicaine : la voulez-vous ? Nous demandons le maintien de la paix ; le demandez-vous ? Nous désirons une réduction du service militaire : y consentez-vous ? Nous souhaitons que les charges de l’agriculture soient diminuées : nous seconderez-vous ? Le suffrage universel direct peut poser ces questions et n’est pas incapable de discerner lequel, entre deux candidats, les résoudra conformément ou contrairement à ses vœux. Mais quand il s’agit de nommer des magistrats, il ne s’agit plus pour l’électeur de faire connaître et d’imposer ses volontés à l’élu, puisque le premier devoir de l’élu sera d’en faire abstraction, puisque le juge né relève plus, au lendemain de son élection, que de sa conscience et de la loi. Si le suffrage universel direct perd toute compétence, c’est que le rôle de l’électeur est transformé.

Avez-vous étudié les lois ? connaissez-vous bien le droit civil et le droit criminel ? joignez-vous à la connaissance théorique de la