Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

médicale. Nous avons vu quels trésors de faits renferme l’œuvre d’Hippocrate. Ses théories médicales sont bien souvent marquées au coin du génie. Il crée la doctrine si féconde de l’action des milieux sur l’homme ; il réforme le régime dans les maladies aiguës, en subordonnant le régime à la maladie et non la maladie au régime, comme le faisaient les médecins de son temps. Le premier, il donne une grande place à l’étude de l’état général du malade, et c’est sur cette étude qu’il fonde sa prognose, c’est-à-dire l’art de juger le passé et l’avenir d’une maladie d’après sa nature présente. Il blâme la polypharmacie et l’usage immodéré des drogues en montrant que la nature a une tendance curative spontanée et qu’il faut la combattre seulement quand elle s’égare ; ce fut là une grande révolution pour son temps, qui appela injustement la médecine d’Hippocrate « De méditation sur la mort. » Que de grandes choses nous aurait encore apprises Hippocrate si de son temps la physiologie eût été créée ! Malheureusement, les idées les plus étranges régnaient sur le fonctionnement de l’organisme humain ; il ne pouvait en être autrement, on ne disséquait pas, on ne faisait aucune expérience sur les animaux, et le champ de l’hypothèse était largement ouvert aux fantaisies de l’imagination antique.

Malgré cette ignorance absolue des fonctions de nos organes, Hippocrate lut un grand médecin. Il a observé la nature, et, se servant de l’induction, il a trouvé un lien entre les faits particuliers observés chez chaque malade isolé. Mais quelle réserve, quelle sagesse, quelle modestie dans ses affirmations ! « L’affirmation en paroles est glissante et faillible, dit-il ; il n’y a de solide que ce qui s’opère par démonstration ; c’est à quoi il faut se tenir et s’attacher sans réserve si l’on veut obtenir cette aptitude facile et sûre que nous appelons l’art de la médecine. » Il n’est pas de ceux qui croient, comme Van Helmont, que leur pouvoir est illimité et que les médecins sont les dompteurs des maladies ; il se contente d’émettre cette sage pensée : « Avec le médecin, le malade doit combattre la maladie, » tout comme Ambroise Paré a dit : « Je le pansai, Dieu le guérit. » Puis, quelle honnête sagesse dans ce précepte : « Le praticien doit avoir deux objets en vue : être utile au malade et avant tout ne pas lui nuire. » Il faut aussi que le médecin recherche la considération de ses malades par une parfaite honorabilité professionnelle : « Quand il existe, dit-il, plusieurs méthodes de traitement, il faut employer celle qui fait le moins d’étalage. Quiconque ne prétend pas éblouir les yeux du vulgaire par un vain appareil sentira que telle doit être la condition d’un homme d’honneur et d’un véritable médecin. » Chez lui le sentiment de l’honneur s’alliait à celui de la charité. « Quand il y aura des pauvres, c’est auprès d’eux que le médecin courra tout d’abord,