Cette loi, c’est de développer toujours ce qui existe, de passer d’une forme à une autre par des transitions, en laissant à chaque degré une trace de celui qui le précède et de celui qui le suit. Dans la nageoire de la baleine, dans l’aile de l’oiseau, on retrouve l’os qui fait le bras chez l’homme et le pied de devant chez les mammifères. M. Littré admet le mode de création par transition. Il admet que les animaux supérieurs n’auraient pas vu le jour si les animaux inférieurs n’avaient pas existé. Parmi les êtres, l’homme est donc le terme où ont abouti toutes les transformations opérées par transitions successives. Voilà ce qu’a dit M. Littré sur la place occupée par l’homme dans la nature. Cela veut-il dire que l’homme descend du singe, cette pensée banale et brutale que l’on a attribuée à l’illustre savant ? M. Littré n’en savait rien, et il ne parlait que de ce qu’il savait. Dans cette question épineuse du transformisme, il s’est efforcé de rejeter toutes les hypothèses hasardées. Il a dit que ce mécanisme de l’évolution et de la sélection était une explication et non une démonstration. Il a dit aussi que cette théorie de l’évolution dans la nature devait s’arrêter aux dernières limites des êtres vivans et qu’on ne pouvait pas expliquer comment s’opère le passage de la matière brute à l’élément vivant. Ce sont là de sages réserves, que les détracteurs de M. Littré feront bien de considérer attentivement.
M. Littré, par principe, ne cherche pas à connaître les causes premières qui ne sont pas du domaine de la science. Partout on retrouve cette crainte un peu dédaigneuse des hypothèses. Aussi on lira dans l’article Ame, du Dictionnaire de médecine, par Littré et Ch. Robin, édition de 1877 : « L’âme, en biologie, est l’ensemble des facultés intellectuelles et morales… Cet ensemble de facultés est le résultat des fonctions encéphaliques d’après le dogme scientifique actuel, qui n’admet ni propriété ou force sans matière, ni matière sans propriété ou force, tout en déclarant ignorer absolument ce que c’est en soi que force et matière, et pourquoi la sensibilité et la pensée se manifestent dans la substance nerveuse. » Il est difficile de faire une définition scientifique plus sage et plus prudente. On ne peut vraiment rien demander de plus à un savant, car les physiologistes n’ont jamais eu la prétention de disputer aux philosophes le champ de l’hypothèse.
M. Littré ne s’est pas toujours confiné dans les régions élevées de l’histoire et de la philosophie scientifiques, il a souvent traité les sujets les plus pratiques de la médecine et s’est souvent occupé des grands problèmes hygiéniques. Il a longuement parlé des mesures prophylactiques destinées à arrêter le choléra et les autres épidémies[1]. Il a le premier en France demandé la création d’un
- ↑ Littré, de l’Hygiène. (Journal des Débats, 23, 25 et 27 novembre 1858.)