Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restent encore à l’état nomade. De ces peuples divers les plus belliqueux sont ceux qui habitent le plus au nord. On remarque chez eux à peu près le même genre de vie que chez les Bactriens. L’Asie est habitée jusqu’à l’Inde comprise, qui en fait partie ; après l’Inde, on ne rencontre plus qu’un désert. On sait que les pays les plus lointains, par un singulier privilège, ont généralement les plus belles productions : l’Inde, qui est, du côté de l’aurore, le dernier pays habité, possède des quadrupèdes, des oiseaux, beaucoup plus grands que les animaux de même espèce qui se rencontrent dans les autres contrées. La Grèce en put juger quand l’armée de Xerxès envahit son territoire ; les chiens indiens qui suivaient cette armée étonnèrent les Grecs par leur taille, par leur force et par leur vitesse. L’Inde fournit aussi de l’or en profusion ; on en extrait des mines, le fleuve en charrie et des fourmis gigantesques en mêlent aux amas de sable qu’elles amoncellent au milieu du désert. Mais est-il un métal dont la valeur puisse être mise en balance avec celle de l’arbre merveilleux dont Scylax révéla le premier l’existence ? Cet arbre croît sans culture et porte pour fruit de la laine plus belle, de la laine de meilleure qualité que la toison des brebis. Les Indiens s’habillent ainsi à peu de frais ; ils n’ont qu’à cueillir et à tisser le fil qui pend aux arbres pour se fabriquer des vêtemens.

Au mois d’août de l’année 1854, l’Angleterre et la France ayant uni leurs forces pour une action commune, nous nous préparions à débarquer nos troupes en Crimée. Le naturaliste Pallas et le duc de Raguse nous avaient précédés sur cette terre inhospitalière demeurée en plein XIXe siècle presque aussi soupçonneuse de tout regard étranger qu’au temps où y abordait Oreste. Étions-nous, quand le rivage d’Old-Fort reçut nos bataillons, beaucoup mieux édifiés sur le relief du sol, sur les ressources du pays, sur l’importance notamment des cours d’eau, que les soldats d’Alexandre paraissent l’avoir été sur l’orographie et sur l’hydrologie du Pendjab, quand ils se présentèrent aux frontières jusque-là fermées de l’Inde avec les notions puisées par leur grand état-major général dans Homère et dans Hérodote ? Il nous restait cependant sur ces aventureux découvreurs un immense avantage : nous savions d’une façon précise sous quel parallèle et sous quel méridien nos vaisseaux nous avaient conduits. Les Grecs et les Macédoniens, au contraire, après tant de chemin parcouru, se trouvaient en quelque sorte égarés. Ils se demandaient si le Tanaïs et le Pont-Euxin étaient proches, si le cours de l’Indus ne finirait pas par tes ramener en Égypte. Les guides qu’ils se procuraient, les nouveaux alliés qu’ils interrogeaient avec insistance, ne pouvaient rien leur apprendre sur ce point ; en revanche, ils leur apportaient sur la topographie et la constitution géologique de l’Inde, sur le réseau de fleuves qui arrosaient