l’emporte encore d’ordinaire sur le sentiment national. Ce dernier, comprimé par le principe à demi théocratique de l’islam, n’existe en Égypte et chez tous les Arabes qu’à l’état rudimentaire. C’est se payer de mots que de comparer les Arabes d’Égypte aux Roumains, aux Grecs, aux Serbes ; sous ce rapport, il y a en Orient même une grande différence entre le chrétien et le musulman, et ce n’est pas la moindre supériorité du premier.
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui raillent la prétendue nationalité égyptienne. A mes yeux, les peuples sont de grandes individualités vivantes, ayant chacune leur génie et leur originalité, ayant chacune leur rôle dans l’histoire et la civilisation. Aussi, dussions-nous passer pour chimériques, souhaitons-nous vivement, dans l’intérêt de la culture universelle, de voir cette antique race arabe, qui, à certaine heure, a jeté un si vif éclat dans les ans et dans la science même, se relever de son long abaissement et former quelque part dans son vaste domaine ce qu’elle n’a encore jamais su constituer, une nation au sens moderne et conscient du mot.
Peut-être n’est-ce là qu’un rêve, une utopie si l’on veut ! Peut-être, pareil à ces régions d’Orient, autrefois vertes et fertiles, aujourd’hui dénudées et arides, l’esprit arabe est-il épuisé, desséché, incapable de reverdir. Peut-être est-ce en vain que nous espérerions le féconder de nouveau au contact de la culture européenne, comme ces sables incultes dont, après des siècles d’abandon et de stérilité, les canaux du Nil refont des champs de blé ou des jardins. Une chose, en tous cas, nous semble manifeste, c’est que, si les peuples arabisés d’Asie ou d’Afrique doivent former un état et une nation vivante, ce sera en Égypte, aux bords du seul grand fleuve de l’énorme territoire encore couvert par leurs tribus.
Partout ailleurs, de l’Euphrate au Maghreb, dans les déserts de l’Arabie, dans l’étroit littoral de la Syrie, dans le Tell montagneux des pays berbères, les peuples de langue arabe sont trop disséminés, trop mêlés, trop pressés par le désert pour jamais se fondre en une nation homogène et un état civilisé. La configuration des terres, la nature du sol, la vie de tribus s’y opposent ; et c’est se montrer injuste ou ignorant que de nous accuser, comme on le fait parfois en Italie, d’avoir étouffé dans son berceau, à Tunis et à Alger, une nationalité et une civilisation. Si les Maures ont jamais su former un état cultivé, ce n’est point en Afrique, c’est en Europe, en Espagne.
L’antique terre des Pharaons est le seul pays où puissent se constituer une nation et un état arabes, peut-être même le seul où les peuples musulmans gardent quelque chance d’un développement autonome ; car l’Asie turque, l’Asie-Mineure, le dernier refuge des Ottomans, est sur la Mer-Noire comme sur la Mer-Égée, vers le Taurus comme vers le Mont-Olympe, en grand partie chrétienne, en grande partie grecque