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non-seulement elle a bombardé les forts d’Alexandrie, elle est entrée immédiatement en armes dans la malheureuse ville que les soldats égyptiens aux ordres d’Arabi ont abandonnée après l’avoir incendiée et pillée. Elle s’est établie provisoirement dans les ruines, essayant de reconstituer une administration, se servant un peu du khédive, qu’elle tient sous sa garde et qui est sans doute plus en sûreté avec les sentinelles anglaises aux portes de son palais qu’il ne le serait au camp d’Arabi. Il est bien clair que désormais les Anglais ont pris leur parti. Ils n’en sont plus à délibérer. Ils ont déjà voté tous les crédits nécessaires, et en même temps qu’ils appellent des Indes des contingens qui doivent débarquer à Suez, ils envoient d’Europe des forces nouvelles incessamment dirigées sur Alexandrie. Ils ont même levé des réserves, et avant peu ils auront en Égypte une armée entière prête à exécuter les volontés de la puissance britannique. Ils iront vraisemblablement au Caire. C’est une nouvelle campagne d’Égypte qui commence. Maintenant on ne s’attend pas sans doute à voir les Anglais s’arrêter ou se retirer parce que le sultan, pressé par la conférence de Constantinople, aurait offert d’envoyer des troupes. Le temps est passé selon le mot de M. Gladstone. Que les soldats du sultan aillent ou n’aillent pas en Égypte, l’Angleterre ne paraît pas moins résolue à aller jusqu’au bout, à « rétablir l’ordre, » comme dit la diplomatie. C’est en présence de cette situation que le ministère français, placé entre le concert européen et l’Angleterre, a eu, à son tour, à user de l’indépendance qu’il s’est réservée, à prendre des résolutions nouvelles pour suivre, ne fût-ce que de loin, les événemens. Qu’a-t-il fait alors ? Il avait déjà demandé un modeste crédit pour armer ou réparer quelques navires, — uniquement par précaution, comme on le disait ; il s’est bientôt décidée faire un pas de plus, à soumettre aux chambres une nouvelle demande de crédits, — justement la proposition qui a précipité sa chute. À vrai dire, il ne pouvait guère en être autrement. Cette proposition, en effet, n’était que la continuation, l’aggravation de cette politique d’ambiguïté qui depuis longtemps fatigue et déconcerte l’opinion. Notre gouvernement avait imaginé une sorte d’apparition dérobée en Égypte, une petite opération qui ne pouvait, pensait-il, le brouiller avec le concert européen et à laquelle l’Angleterre s’était empressée de souscrire sans y attacher évidemment toute l’importance qu’a paru y voir le président du conseil français. Il s’agissait d’envoyer un petit corps, quelque trois ou quatre mille hommes, sur les bords du canal de Suez, dans deux ou trois postes, probablement à Port-Saïd et à Ismaïlia. Ces trois ou quatre mille hommes seraient allés là, pas ailleurs ; ils devaient monter la garde et repousser les Bédouins, pas les Égyptiens d’Arabi, si ceux-ci par hasard les attaquaient. Il était expressément réservé qu’en aucun cas nos soldats ne devaient prêter le moindre secours aux soldats anglais.