Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était une manière d’aller en Égypte et de n’y pas aller ! Or ici s’élevait aussitôt la question la plus grave et la plus délicate. Si la France avait intérêt à intervenir, elle devait sans contredit le faire ouvertement, sans détour, sans cacher son drapeau, en acceptant franchement de placer ses forces à côté des forces anglaises. Si on ne voulait pas aller jusqu’à cette intervention avouée, mieux valait certes de toute façon ne pas se donner ces mesquines apparences et se réfugier dans une abstention complète qui n’est pas glorieuse, mais qui, enfin, est un système. La pire des politiques, dans tous les cas, était de se prêter à une opération équivoque qui, sans avoir les avantages et l’honneur d’une intervention, en offrait les inconvéniens et les périls : car enfin ces soldats peu nombreux, placés dans un poste lointain, étaient exposés à être attaqués, peut-être à subir des revers, à engager le drapeau, et la France pouvait se trouver entraînée, sans l’avoir voulu ni prévu, dans une aventure bien plus grave qu’une intervention avérée et légitime. C’est tout cela qui a ému les instincts de la chambre, qui l’a mise en garde contre cet inconnu qu’on lui présentait, et le ministère, en dépit de toutes les habiletés de langage de M. le président du conseil, est tombé sous le poids d’un vote qu’on pourrait presque dire unanime, auquel se sont associés les partis les plus divers. D’un seul coup il a payé toutes ses faiblesses.

Au fond, qu’on ne s’y trompe pas, le ministère a péri sans doute victime d’une conception malheureuse, d’une combinaison subtile et équivoque, qui ne répondait ni aux instincts nationaux, ni aux plus sérieux intérêts de prévoyance ; mais il est tombé aussi parce que dans ces graves affaires, depuis le commencement jusqu’à la fin, il n’a su ni remplir le rôle, ni accepter la responsabilité d’un gouvernement. On aurait dit que le chef du cabinet, loin d’exercer son influence et de prendre la direction du parlement, n’avait d’autre souci que de se modeler sur les mobilités de la chambre, de flatter les partis pour avoir leur appui, d’attendre d’heure en heure une impulsion, au lieu de la donner, comme c’était son devoir, avec son autorité de premier ministre, avec la connaissance qu’il avait de l’état de l’Europe, de la complication des rapports et des intérêts diplomatiques. Rien, certes de plus étrange que cette insistance méticuleuse et inquiète que mettait le chef du cabinet à revenir perpétuellement devant la chambre, à lui répéter sans cesse qu’elle pouvait être tranquille, que rien ne serait fait sans qu’elle fût consultée, non-seulement sur la direction générale de la politique, mais sur les détails, sur chaque incident. Il ne l’a pas dit une fois, il l’a déclaré à tout propos, comme s’il ne se sentait jamais assez lié. Il ne s’est pas borné à des paroles, il a mis sa théorie dans les actes, il a procédé par ces demandes de crédits partiels, successifs, « étagés, » comme on l’a dit l’autre jour au sénat, de telle façon qu’il fût bien entendu que tout restait à la merci d’un