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Porus et Abisarès manœuvraient en ce moment pour opérer leur jonction, mais Abisarès se trouvait encore à 75 kilomètres de Porus. Alexandre ne douta pas un instant qu’il ne pût tenir Abisarès en échec, pendant qu’il irait, avec le gros de ses forces, accabler le prince que nous nommerions aujourd’hui, non pas le roi Porus, mais, ainsi que s’appelait Runjet-Singh, le maharajah de Lahore. De ce côté, en effet, se trouvait la grande armée du Pendjab. Le bruit public prêtait à Porus cinquante mille fantassins, trois mille cavaliers, plus de mille chars de guerre et cent trente éléphans : ce sont là les chiffres de Diodore de Sicile. Porus, en réalité, ne paraît avoir jamais mis en ligne plus de trente mille fantassins et de trois cents chars de guerre ; par compensation, Arrien porte à quatre mille le nombre des cavaliers, à deux cents celui des éléphans. Bûmes a fait la curieuse remarque que, si l’on remplace les chars par des canons, l’armée de Runjet-Singh et l’armée de Porus présenteront, à très peu de chose près, le même effectif.

Abisarès fut-il intimidé par la rapidité des mouvemens d’Alexandre, ou céda-t-il à la terreur qui précédait partout ce grand nom, il est difficile aujourd’hui de le dire ; la seule chose que l’accord de Quinte Curce et d’Arrien nous permet d’affirmer, c’est qu’Abisarès, au lieu de poursuivre sa marche vers le champ de bataille où Porus lui donnait rendez-vous, s’arrêta brusquement et députa son frère vers Alexandre, le chargeant d’apporter au roi de Macédoine l’assurance de sa soumission la plus complète. Un ennemi de moins à combattre est une faveur du sort qu’un général habile ne dédaigne jamais. L’hommage d’Abisarès fut accepté comme sincère, et l’armée, délivrée de la crainte d’une diversion sur son flanc gauche, ne s’occupa plus que d’opérer son mouvement de concentration vers l’Hydaspe. Derrière ce fleuve, le premier qu’on rencontre en venant de l’Indus, le roi de Lahore, avec toutes ses troupes rangées en bataille, attendait.


II

Dans la saison sèche, nous apprend le lieutenant Burnes, on peut passer à gué l’Hydaspe et l’Acésinès au-dessus de leur confluent ; quand ces deux fleuves ont réuni leurs eaux, on ne les traverserait pas sans le secours d’une barque. La saison sèche touchait à sa fin, au moment où Alexandre atteignit la rive droite de l’Hydaspe, et la fonte des neiges avait déjà grossi les cinq fleuves du Pendjab. Tamerlan a franchi l’Hydaspe sur un pont, au point de jonction des deux rivières, là où l’Hydaspe encaissé n’a guère plus de 500 mètres de largeur ; Runjet-Singh l’a traversé à la nage avec un gros corps de cavalerie, mais ni Tamerlan ni Runjet-Singh n’opéraient