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successivement se faire écharper sur les merlons des redoutes ennemies. La force des Sykhs était presque double de celle que lui opposait le général Gough ; cette supériorité numérique n’aurait pas cependant assuré à l’année du Pendjab la victoire sans le décousu inexplicable de l’attaque. Les Anglais perdirent dans cette malencontreuse affaire deux mille trois cent trente-un hommes mis hors de combat, cent-soixante-seize chevaux et six canons. Ils purent néanmoins garder leur position, s’y fortifier et attendre, avant de tenter un nouvel effort, les secours qui leur arrivaient à marches forcées de Moultan.

Les Sykhs avaient su vaincre : comme bien d’autres vainqueurs, ils ne surent pas profiter de leur avantage ; on les vit, peu de jours après la bataille, abandonner ces lignes redoutables de Russoul, de Mong et de Chillianwallah, qu’ils venaient de si bien défendre. Le manque de vivres ou la trahison des chefs, peut-être aussi le désir de se rapprocher de Lahore, les reporta des bords de l’Hydaspe aux rives de l’Acésinès, des lignes fortifiées de Russoul aux retranchemens rapidement élevés de Goujerat. Leur armée ne cessait cependant pas de grossir ; le 21 février 1849, elle comptait près de soixante mille hommes et cinquante-neuf pièces d’artillerie. La revanche de Chillianwallah, malgré tout, était proche ; la ténacité anglaise a réparé de plus grosses fautes de tactique que celle dont le général Gough s’était rendu coupable le 12 janvier 1849. Arrivé devant Goujerat avec toutes ses forces, cette fois, dans la main, lord Gough, le 21 février, prit mieux ses dispositions ; il ne lança ses colonnes à l’assaut qu’après avoir ébranlé par le feu de son artillerie l’infanterie des Sykhs, et pas un seul instant ne laissa ses vaillantes brigades dépourvues de l’appui qui leur avait manqué dans la plaine de Chillianwallah. « Les batteries, nous raconte un témoin oculaire, le capitaine Lawrence-Archer, passant dans les intervalles des brigades, se portèrent au galop à 300 mètres environ en avant de la ligne d’infanterie couchée à terre et ouvrirent sur-le-champ le feu. » Des tirailleurs déployés en ordre ouvert reliaient ces batteries l’une à l’autre ; au centre s’avançaient les grosses pièces traînées par les éléphans. La bannière de saint George avec sa croix blanche flottait arborée sur, le dos d’un de ces animaux gigantesques, monstre majestueux dont la taille dépassait celle de tous ses compagnons et dont l’allure réglait le pas, mesuré comme à la parade, du front de bandière. Quand le feu de l’ennemi se ralentissait, l’infanterie se levait et se mettait en marche, gagnant du terrain au fur et à mesure que les Sykhs en cédaient, mais se laissant toujours précéder par l’artillerie et par les tirailleurs. La cavalerie anglaise avait d’ailleurs rencontré en ce jour un terrain favorable ; elle n’eut point à s’enfoncer au milieu des jungles et sut attendre patiemment pour charger