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d’un passage ; elle court à grand bruit sur la rive, fait sonner ses trompettes, pousse des cris comme si elle s’efforçait de rallier, au milieu de l’obscurité, ses escadrons. Les Indiens s’arment en toute hâte et garnissent de leurs bataillons émus le bord opposé ; ils attendent, rien ne vient. Quelques jours se passent ; la même manœuvre se répète ; elle en arrive à se renouveler si souvent que les barbares finissent par soupçonner dans ces chevauchées bruyantes un pur stratagème de guerre. Comment donc n’ont-ils pas éventé plus tôt cette ruse puérile dont leurs crédules terreurs pouvaient seules assurer le succès ? Alexandre n’a jamais songé à franchir l’Hydaspe ; il se propose uniquement de tenir ses ennemis sur pied et de les priver de sommeil. Au bout de quelques jours, toutes les sonneries et toutes les clameurs de la cavalerie macédonienne ne parviennent plus à faire sortir les soldats de Porus de leurs tentes. Sur la rive gauche de l’Hydaspe on se félicite d’avoir déjoué les artifices de l’ennemi, on rit de sa persévérance, on raille sa simplicité et, quel que soit le tapage qu’il mène, on ne bouge pas ; sur la rive droite, on commence à comprendre le dessein d’Alexandre et l’espoir du succès rentre dans tous les cœurs.

Alexandre, en effet, ne s’est pas borné à fatiguer l’ennemi ; il a fait reconnaître tout le cours du fleuve en amont du camp. Il existe trois points sur lesquels on peut passer l’Hydaspe : droit en face de Porus, à 15 ou 16 kilomètres au-dessus du quartier-général, enfin à mi-chemin, entre ces deux gués. Ce qu’on appelle un gué dans la saison sèche, devient, dans la saison pluvieuse, un torrent ; néanmoins, c’est encore là qu’on peut se flatter de rencontrer les meilleures conditions pour traverser le fleuve à la nage ou pour essayer de le franchir sur des radeaux.

Le major-général Cunningham a déterminé avec la plus irréfutable précision l’emplacement qu’occupaient les camps des deux armées : « Alexandre, dit-il, avec environ 50,000 hommes (y compris 5,000 Indiens auxiliaires, sous les ordres de Mophis) avait son quartier-général à Jalalpour ; son camp s’étendait probablement sur un espace de 9 ou 10 kilomètres le long du fleuve : de Shah-Kabir à Syadpour. Le quartier-général de Porus doit avoir été établi sur l’autre rive, dans les environs de Muhabâtpour, à 6 kilomètres 1/2 dans l’ouest-sud-ouest de Mong et à 5 kilomètres au sud-est de Jalalpour. L’armée de Porus se composait aussi de 50,000 hommes environ (si l’on y comprend les archers, les conducteurs d’éléphans et les conducteurs de chars) ; elle devait donc couvrir, à peu de chose près, la même superficie que l’armée macédonienne : s’étendre, par conséquent, 3 kilomètres au-dessus et 6 kilomètres au-dessous de Muhabâtpour. Le flanc gauche du camp d’Alexandre se trouvait ainsi à 10 kilomètres du promontoire boisé de Kotera, le flanc droit