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du camp indien s’arrêtait à 3. kilomètres de Mong, à 10 du point situé en face de Kotera. C’est à Kotera qu’Alexandre espérait surprendre. le passage du fleuve. »

Le moment est venu, de jeter les dés ; le salut de l’armée et la fortune de la Grèce sont l’enjeu. Alexandre heureusement a si bien mûri son dessein, si habilement ; concerté tous ses préparatifs, qu’il faudrait une trahison presque inouïe du sort pour que l’opération n’eût pas un succès complet. Cratère restera au camp avec son corps de cavalerie, avec les cavaliers de l’Arachosie et de la Paropamisade, avec la phalange macédonienne, les bataillons d’Alcétas et de Polysperchon, les nomarques de l’Inde citérieure et les 5,000 Indiens auxiliaires de Taxile ; Méléagre, Attale et Gorgias conduiront à la hauteur du gué intermédiaire la cavalerie et l’infanterie des stipendiés ; Alexandre se portera de sa personne au gué le plus éloigné, emmenant l'agéma des hétaïres, la cavalerie d'Ephestion, de Perdiccas et de Démétrius, les cavaliers Bactriens, sogdiens et scythes, les archers à cheval que lui ont fournis les Dahiens, les hypaspistes détachés de la phalange, les bataillons de Clitus et de Cœnus, les archers grecs et les Agriens. Dans le camp, les préparatifs du passage vont se faire de la façon la plus ostensible ; sur les deux autres points, on prendra, au contraire, toutes les précautions possibles pour réunir avec le plus grand mystère les matériaux qu'on se propose d'assembler au. dernier moment.

A l'endroit que s'est réservé Alexandre, l'Hydaspe fait un grand coude et la rive est dominée par un rocher couvert d'arbres. Le milieu du fleuve est, en outre, occupé par une grande île boisée qui ne permet pas d'apercevoir d'une des rives ce qui se passe sur l'autre. C'est là, près du promontoire de Kotera, que, depuis plusieurs jours, ont été amassés les principaux moyens de transport. Des soldats échelonnés tout le long de la rive, en vue les uns des autres, se tiennent prêts à transmettre les ordres et les avis qui doivent maintenir les trois fractions de l'armée en communication constante. Alexandre franchira le premier le fleuve ; il compte, par ce mouvement, attirer à lui la majeure partie des forces de Porus : les chars et les éléphans. Si cette prévision se réalise, Cratère ne perdra pas un instant ; il passera sans hésiter sur la rive gauche. Que Porus, au contraire, se borne à faire un détachement vers sa droite, qu'il continue de garder le passage direct avec le gros de ses troupes, qu'il ne déplace pas surtout ses éléphans, Cratère, quoi qu'il arrive, demeurera immobile. Les éléphans jetteraient le désordre au sein de la cavalerie grecque et la refouleraient dans le fleuve avant qu'elle eût pu prendre pied sur la berge. Le reste de l'armée indienne est peu à craindre ; Alexandre, si Porus ne lui oppose que ses fantassins, ses cavaliers et ses chars, en aura facilement raison.