légère de Vert-Vert et de la Chartreuse. Un de ces artisans patiens de la parole, façonnée comme une œuvre d’industrie, Voiture, fut aussi un Amiénois.
Voisin du Picard et du Flamand, l’Artésien participe des deux régions, un peu plus de la seconde que de la première. Pays de travail appliqué et de réflexion, quand un peu de mollesse et trop de bonne chère ne s’y opposent, l’Artois a vu naître Suger au XIIe siècle, Daunou au XVIIIe, il compte des érudits et des légistes et peu de poètes ; le Boulonnais, où est né Sainte-Beuve, forme une région à beaucoup d’égards distincte et originale. Le paysan y est plus éveillé et plus vif. Je lis encore dans le curieux rapport de ce même intendant Bignon, parlant des gens de l’Artois : « L’activité, l’ardeur et le savoir-faire ne sont point le caractère de cette nation. » Il verrait le contraire s’il vivait de nos jours. Il n’y a pas de meilleurs ni plus avisés agriculteurs que les Artésiens. Mettez un homme à un régime qui l’épuise et prononcez ensuite qu’il est né débile : voilà comment raisonne notre intendant, qui tenait évidemment à ne pas se brouiller avec les puissances. L’Artois mettra plutôt trop de vivacité et d’âpreté dans ses griefs insérés aux cahiers de 1789, quelque légitimes que soient beaucoup de ces plaintes. L’ardeur qu’il déploiera dans les travaux de tous genres, après cette révolution qui affranchit la propriété et le travail, est un complet démenti aux reproches d’engourdissement et de défaut de savoir-faire. Lorsque la liberté fut rendue aux achats et aux ventes et qu’une grande quantité du sol fut mise à la disposition des acquéreurs, l’essor vers la propriété se fît tantôt dans le sens de la petite, qui d’ailleurs existait déjà, tantôt, et dans des proportions plus étendues, dans le sens de la moyenne, ce qui fut alors dans le reste de la France un fait beaucoup plus rare. Toute une population de moyens propriétaires sembla sortir du sol dans les circonscriptions d’Arras, de Saint-Pol, de Saint-Omer. Le capital était prêt : l’esprit qui le met en jeu fit voir qu’il ne l’était pas moins.
Ce ne sont pas certes les qualités natives de race et de tempérament, d’intelligence et de caractère qui manquent à notre vieille Flandre. On peut remarquer sans doute quelques différentes entre la Flandre wallonne ou gallicane, comme on la nommait, et la Flandre maritime ou flamingante. Elles se sont fondues dans une sorte d’unité morale, quoique discernables encore. Nulle de nos provinces ne fut élevée davantage à l’école d’une forte indépendance, depuis le temps où elle eut ses rois, fort petits rois, à vrai dire, rois de Thérouanne ou de Cambrai, dont les états sont devenus des arrondissemens. La somme des franchises locales qu’elle devait conquérir et garder profitait singulièrement aux intérêts agricoles