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d’hiver. Elles filaient pendant de longues heures le lin qu’on employait dans les fabriques. Filles, elles s’essayaient à une tâche qui était aussi une distraction et où elles ne s’éloignaient pas du regard des mères. Devenues femmes, elles y trouvaient une occupation utile et lucrative à quelque degré pour la famille ; aïeules, elles y employaient des heures qui risquent parfois aujourd’hui de se consumer dans l’ennui. Ce petit salaire représentait pour la femme comme son apport personnel ; on l’en estimait davantage, et elle en ressentait quelque fierté. Aujourd’hui, la jeune fille se livre encore à ce travail traditionnel de son sexe depuis les temps les plus antiques ; mais le métier à filer n’est plus là comme l’image d’un bon génie domestique : il est dans un atelier commun, qu’on va gagner chaque matin, pour ne revenir que le soir, à Lille, à Roubaix, dans une de ces nombreuses villes de fabrique, ruches banales où viennent se grouper toutes ces abeilles du travail pour se disperser à heure fixe. Le salaire a augmenté, il est vrai, et c’est un bienfait incontestable, mais on se demande s’il n’a pas fallu payer cet avantage matériel d’un prix moral trop élevé, et si rien peut compenser suffisamment ce faisceau de la famille rompu à un âge où la faiblesse physique et morale a le plus besoin de ménagement et d’appui.

Ce qui certainement s’est le plus modifié dans la famille rurale, ce sont les rapports des parens et des enfans. On doit dire d’elle désormais ce que nous entendons répéter de la famille urbaine, que les parens sont devenus plus tendres et les enfans moins respectueux. Châtier a cessé d’être une des marques de l’amour paternel et maternel. Il n’y a pas un siècle que la verge pour fouetter était comme un meuble de ménage indispensable dans ces maisons de cultivateurs. On ne comprenait pas l’éducation sans ce petit ustensile. Aujourd’hui la main, toujours prompte, ne frappe plus que la joue, mais cette vive façon de se décharger de sa mauvaise humeur n’a rien de systématique au point de vue de l’éducation. Il y a des moralistes qui le regrettent. Le fouet dans le jeune âge leur paraît comme une inoculation qui préserve plus tard de châtimens plus graves. Opinion exagérée sans aucun doute : il n’est pas absolument nécessaire d’avoir été battu pour devenir honnête homme, mais un peu de crainte ne nuit pas chez l’enfant, pourvu qu’on n’en abuse pas. Bien de pire que l’affection toute d’instinct, molle et trop aveugle. Cette excessive faiblesse ôte à l’autorité paternelle et maternelle son prestige et sa force. « La gâterie, nous disait un de ces campagnards offusqué par ces habitudes trop molles, est devenue le mal de nos pays. Aussi y a-t-il plus d’ enfans ingrats qu’autrefois. C’est tout simple : ces enfans ont pris l’habitude de se voir tout sacrifier. Ils croient toujours, arrivés à l’âge mûr, que leurs parens leur