choses, cette situation critique existe en partie, il serait d’une suprême imprudence de l’aggraver en posant en antagonisme devant les campagnes prises comme théâtre d’expérience, ces deux termes d’une antithèse violente, la science et la foi, qu’on personnifierait dans l’instituteur et dans le prêtre mis aux prises. Ceci tuera cela. La politique doit éviter de telles alternatives redoutables, non les créer. La part à faire au sentiment religieux, inséparable, quoi qu’on en puisse dire, d’une religion déterminée qui lui fait prendre corps et peut seule lui donner un aliment régulier, a été proclamée par les politiques les plus libéraux et les plus pénétrés des devoirs de la démocratie. Américains, Anglais ou Français. La démocratie a besoin de tous les freins et de tous les stimulans moraux. Elle établit la liberté et la responsabilité à tous les degrés. Éliminer l’influence des croyances et du sentiment religieux qui agissent sur l’homme intérieur serait une gageure assez nouvelle en cette matière, et il y aurait plus de perte que de profit pour le parti illusionné qui croirait pouvoir la soutenir contre les leçons de l’expérience et les conditions mêmes qu’impose à la politique la nature de l’homme et de la société, surtout celle des sociétés libres.
Nous ne pouvions pas en dire moins sur cet état nouveau pour nos campagnes, très facile à observer dans nos populations du Nord et du Nord-Ouest. Au temps de l’empire romain, les campagnes voyaient leurs croyances ébranlées, mais le christianisme frappait à la porte : une religion supérieure remplaçait une religion inférieure : elle apportait une règle et un idéal moral sous des formes appropriées à la muasse qui furent avidement acceptées. Tout était net, précis, dans les affirmations. La vie avait un guide, un modèle. Le ciel s’ouvrait. Est-on sûr qu’il y ait aujourd’hui quoi que ce soit à mettre à la place en dehors de doctrines trop abstraites, les supposât-on toujours morales, pour suffire à tous les besoins et à la direction de la vie ? L’œuvre de la civilisation des campagnes par le christianisme est-elle achevée ? Nous nous bornons à poser ces questions, et nous avons hâte de rentrer dans les faits. À cette description intellectuelle et morale nous devons ajouter le tableau de la condition matérielle des populations des mêmes provinces. Ce sera l’objet d’une seconde étude.
Henri Baudrillart.