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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/886

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pour être jamais reproduits. Quelle lumière dans ce pays ! quelle hauteur a le ciel !


12 janvier.

Toute la matinée, nous attendons fiévreusement la première vue de Thèbes. À chaque tournant du Nil, à chaque nouveau tableau qui se déroule, il nous semble arriver à ce rivage désiré. Enfin, le fleuve s’élargit encore. À notre droite, une riche plaine s’étend jusqu’à cette ligne de collines sévères, toutes percées de grottes funéraires, qui ferme l’horizon. À gauche, au bord de l’eau, de lourdes masses de ruines, quelques maisons blanches, une haute berge de sable et quelques dahaliehs qui y sont amarrées. Nous sommes à Louqsor, et cette vaste plaine est tout ce qui reste de Thèbes, la ville aux cent portes. Nous ne nous arrêtons qu’une demi-heure pour déposer les sacs de dépêches et quelques-uns de nos compagnons, et ne restons plus que douze à bord. Je suis la seule femme, mais notre principal personnage est le consul anglais, à Alexandrie, M. Cookson, auquel le long de la route les autorités viennent rendre leurs hommages.

Louqsor est un étrange amas de petites maisons arabes, nichées entre les colonnades gigantesques, les pylônes ensablés, bloquant les temples à moitié déblayés et dont la partie supérieure est seule visible. Sur l’autre rive sont disséminés des amas de monumens effondrés, des colonnes que nous distinguons grâce à la pureté infinie de l’air, mais qui sont microscopiques dans cet immense panorama. Deux taches roses, isolées dans une mer de verdure, se dessinent par leur ombre violette : les colosses. Mais déjà tous ces détails s’enfuient ; nous remontons le Nil et, tout le jour, le paysage reste d’une beauté grandiose. Nous longeons Erment et ses vergers de mandarines, puis vient une longue passée entre de hautes chaînes roses, de formes admirables, qui descendent jusqu’au bord de l’eau. Nous sommes dans la véritable Thébaïde des ermites des premiers siècles. Aussitôt qu’entre la montagne et le fleuve, il reste une bande de culture sur la berge, on y établit des shadoufs, pour faire monter l’eau ; quelquefois séparés à peine par 20 ou 30 mètres d’intervalle. Le travail est ancien comme l’Egypte. Les fellahs, toujours par deux, haïssant et soulevant les seaux en peaux de buffle, avec le long levier fixé au-dessus de leur tête, les vident dans des auges à côté d’eux, en mesure aussi précise que celle de leur chanson. Quand la levée est haute, ou la rivière basse, il y a trois ou quatre paires de shadoufs au-dessus l’un de l’autre, avant que l’eau atteigne les petits canaux d’arrosage qui font vivre les prés.