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Le Boulonnais présente un excédent notable de naissances. On doit se demander si l’indigence ne se montre pas, dans ces pays, prolifique à l’excès. C’est l’impression que j’ai éprouvée plusieurs fois, sauf à la corriger le plus souvent par la réflexion et à donner le pas aux considérations générales qui exigent le développement de la population. Je n’oublierai jamais la visite d’une pauvre demeure à Wimille, près de Boulogne. La femme qui nous montrait elle-même son pauvre logis paraissait une aïeule, tant elle était usée et flétrie. Or elle n’avait guère que de quarante à quarante-deux ans, et elle était grosse de son seizième enfant ! Nous lui demandâmes comment vivait toute cette progéniture. L’histoire était longue à conter. Les uns s’étaient établis, étaient devenus de bons ouvriers agricoles, gagnaient des salaires suffisans ; d’autres étaient marins ; quelques-uns étaient moins heureux. Les filles étaient mariées ou servantes. Il était facile aussi d’entrevoir des défaillances. La mère s’en expliquait avec un peu d’embarras devant mon guide, propriétaire établi dans le pays. L’aînée des filles avait quitté depuis deux années la maison, où elle n’avait reparu qu’une fois pour y faire l’impudent étalage de ses toilettes. Pénible et singulier spectacle que celui de cette mère partagée entre des sentimens différens et qui étaient loin d’avoir la même valeur morale ! Elle rougissait de la chute de son enfant et, en même temps, elle se plaignait que cette malheureuse fille n’envoyât pas à ses petits frères et à ses sœurs des secours qui ne pouvaient avoir d’autre origine que le vice ! En face de cette mère, j’étais tenté de conclure comme Malthus : Pauvres, évitez le grand nombre des enfans ! Et pourtant cette impression était-elle confirmée par la réalité ? La plupart des enfans n’avaient-ils pas trouvé à se bien placer ? L’inconduite est-elle le fait seulement des populations exubérantes ? L’exemple même qui m’avait effrayé me montrait qu’il y a dans le travail honnête encore bien des places à prendre, et n’avais-je pas autour de moi la preuve que les bras manquent à l’agriculture ? N’était-elle pas en ce moment même obligée de faire appel aux Belges et à divers pays voisins ?

Rien n’est plus certain, et aujourd’hui la Flandre elle-même en est à faire de pareils appels. Elle fut toujours féconde en enfans, et par là elle a pu suffire à une effroyable consommation d’hommes dans la guerre, et à ses besoins agricoles, qui ont été de tout temps sur son propre sol un si grand absorbant du travail. Elle ne fait que suivre ses plus anciennes traditions en multipliant, et pourtant elle aussi, encore une fois, est obligée de demander le concours des bras du dehors. Ce serait à ne pas y croire si les faits n’étaient de notoriété chez tous les cultivateurs. La Flandre nous met donc en présence d’une de ces antinomies singulières qui troublent la pensée