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et qui effraient l’économiste. Tandis que la France n’a que 69 ou 70 habitans par kilomètre carré ou 100 hectares, ce qui est beaucoup trop peu, la Flandre en donne à elle seule 267, ce qui crée une densité excessive, et l’exubérance est d’autant plus grande que tout ce monde consomme d’une manière extraordinaire ; la faim et la soif y dépassent toute moyenne. On pourrait alimenter cinq ou six départemens du Midi avec ce qui ne suffit même pas à nourrir le seul département du Nord. Dieu nous garde pourtant de donner raison à la Picardie et à la Normandie contre cette Flandre plantureuse et prolifique ! Le trop plein des populations ne doit pas se juger non plus que celui des produits sur des encombremens partiels, qui peuvent, les moyens de communication aidant, servir à combler des vides. C’est par l’émigration, soit dans les autres provinces, soit dans les contrées lointaines, qu’une juste répartition s’établit. La responsabilité humaine est en jeu dans ces questions. C’est affaire de choix, de libre arbitre. Dans la plupart de nos régions du Nord et du Nord-Ouest, l’action de la liberté se manifeste par d’étroits calculs en limitant le nombre des enfans. Nul doute possible en effet : c’est la limitation volontaire de la population et nulle autre cause qui arrête son accroissement en France. Cette limitation a pour cause le parti-pris d’échapper aux charges et de ne pas réduire le bien-être ou le luxe relatif dont on ne veut pas se priver. On craint, au nom des mêmes motifs, transportés aux enfans, de multiplier le nombre des héritiers. Dans ces régions de la Flandre, la volonté ne met pas d’obstacle aux naissances, mais, frappée d’une sorte d’inertie, elle se refuse à l’émigration, seul moyen qui puisse rendre le grand nombre des hommes inoffensif et même salutaire. Il n’entre pas dans mon plan de traiter une question où sont intéressés l’avenir de l’humanité et les forces vives de notre pays. L’immense danger du ralentissement dans l’accroissement de la population de la France a été démontré ici même récemment avec une clarté et une force qui ne laissent rien à désirer[1]. L’économie politique n’a plus à faire entendre, sous la forme si rigoureuse et par trop systématique dont les revêtait Malthus, ces conseils que l’excessive prudence de nos propriétaires devance et dépasse. Même en Flandre, le ralentissement, non aperçu par la statistique, est sensible pour le nombre des enfans dans les familles riches ou aisées de cultivateurs. C’est un fait qui se perd dans le grand nombre des naissances, mais qu’on nous a signalé presque partout. Nous le regardons comme éminemment fâcheux dans les classes qui représentent un niveau plus élevé, et qui se transmettent les bonnes traditions

  1. Voyez la Revue du 1er mai et du 1er juin 1882.