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continuel de la dette et des impôts nécessités par la guerre. Les Anglais n’ont jamais supporté patiemment les guerres très prolongées ; cela coûte trop cher. La dette, de 664,000 livres au moment de la révolution, était déjà montée à 34,000,000 livres sterling. À force de répéter, d’abord, que les efforts de Louis XIV et les ressources de la France ne s’épuiseraient pas, ensuite que l’on pourrait arriver à une entente si certaines gens n’avaient pas intérêt à l’empêcher, on finit par le faire croire, et pendant que Marlborough s’efforçait de faire signer la paix à Gertruydenberg, se heurtait aux exigences exagérées de la Hollande et de l’Autriche, refusait deux millions pour assurer au moins Naples et la Sicile au duc d’Anjou, et quatre millions pour conserver Strasbourg, Dunkerque et Landau à la France, les calomniateurs continuaient leur œuvre et gagnaient du terrain en Angleterre. Après Malplaquet, en 1709, on recevait encore le vainqueur avec enthousiasme ; les chambres lui adressaient les discours les plus flatteurs ; la reine elle-même qui, selon l’expression de la duchesse, « savait jouer un rôle, quand il lui était bien soufflé, déclarait dans le discours du trône, que la gloire de la dernière campagne égalait celle de ses devancières ; » et l’on votait sans difficulté de nouveaux subsides pour la guerre. Mais, en 1710, les choses avaient changé : l’envie, la jalousie, l’ambition, l’avidité, la trahison concouraient aux mêmes basses œuvres. Peu à peu, la reine s’enhardissait, et sa duplicité ne trompait plus personne. Lorsqu’on supposa l’opinion publique suffisamment préparée, on fit de nouvelles élections qui furent, en effet, favorables aux tories ; la première victime sacrifiée fut Sunderland, le gendre de Marlborough ; on lui donna pour successeur BoIingbroke ; bientôt après, Rochester prenait la présidence du conseil et le coup mortel était porté au ministère whig dans la personne du trésorier Godolphin, l’ami, le vrai soutien du général en chef, l’honnête homme qui, disait la duchesse, « avait paternellement veillé sur l’ignorance dangereuse de la reine, et après avoir manié pendant tant d’années les finances du royaume, se retirait si pauvre, que si son frère aîné ne fût mort à ce moment, il eût été forcé pour vivre honorablement, d’accepter la pension que lui offrait le duc de Marlborough. » Harley triomphait et prenait sa place.

Quand Marlborough revint, à la fin de 1710, après la prise de Douai, de Béthune, d’Aire, de Saint-Venant, avec leurs garnisons, Anne lui déclara qu’il ne fallait pas cette fois compter sur des remerciemens publics, qu’elle ne pourrait obtenir cela de ses ministres, le congédia froidement, et ne s’occupa plus de lui. Autant elle s’était montrée humble, soumise, lâche même, envers ses anciens favoris, autant elle leur témoignait de sécheresse et de dureté ; cependant, on sentait encore de la crainte dans sa manière