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d’une partie de ses troupes qu’on envoyait en Espagne et en Amérique, il fit preuve d’une vigueur, d’une habileté, d’une patience extraordinaires. Villars était devant lui, retranché derrière ces fameuses lignes qui seraient, disait-il, le nec plus ultra de Marlborough. Il trompa Villars ; il franchit ses lignes sans coup férir et prit Bouchain. La route de Paris était ouverte ; il touchait au but si longtemps poursuivi : mettre pour des siècles la France dans l’impuissance de menacer l’équilibre européen, lorsqu’un événement imprévu l’arrêta et sauva Louis XIV. L’empereur Joseph était mort, le 10 avril de la même année, de la petite vérole. Son frère, l’archiduc Charles, compétiteur du duc d’Anjou au trône d’Espagne, et l’électeur de Bavière prétendaient à sa succession. Le gouvernement anglais, redoutant une trop grande puissance pour la maison d’Autriche, résolut de soutenir l’archiduc en exigeant sa renonciation au trône d’Espagne, et de faire la paix avec Louis XIV, en se contentant d’une renonciation semblable de la part du duc d’Anjou, quant au trône de France. Pour cela il fallait tromper les alliés et briser Marlborough : c’était bien peu de chose pour Harley et Bolingbroke.

La paix d’Utrecht, cette paix que William Pitt déclarait la tache indélébile du siècle, fut déloyalement négociée avec la France, pendant que l’on affirmait vouloir continuer la guerre. Marlborough, rentré dans son pays pour prendre, comme il le croyait, ses quartiers d’hiver, fut assailli, de tous côtés, par les accusations les plus diverses. On blâmait tout ce qu’il avait fait pendant la dernière campagne ; on l’accusait de n’avoir pas livré de bataille décisive, afin de prolonger la guerre. La reine ouvrit la session du parlement par un discours dans lequel on lui faisait dire : « Je suis heureuse de pouvoir vous annoncer que, malgré les artifices de ceux qui se réjouissent de la guerre, on se prépare à signer un traité de paix. » La reine mentait en cela, puisque les préliminaires secrets étaient déjà signés ; elle mentait encore en affirmant vouloir enlever à la maison de Bourbon l’Espagne et les Antilles. Marlborough se défendit avec une noblesse et une solennité qui lui valurent un vote de confiance dans la chambre des lords. « Je déclare sur ma conscience, dit-il, en présence de Sa Majesté, de cette illustre assemblée et du pouvoir suprême, bien au-dessus des puissans de ce monde, devant lequel je dois m’attendre à paraître bientôt pour rendre compte de mes actes, que j’ai toujours souhaité une paix honorable et durable. Mon âge et mes fatigues me font désirer la retraite et le repos ; je n’ai aucun motif pour vouloir prolonger la guerre, comme l’insinuent mes ennemis, ayant été comblé d’honneurs et de richesses, bien au-delà de ce que j’avais le droit d’espérer, par Sa Majesté et son parlement ; mais je pense,