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des compensations territoriales à M. de Bismarck ; il proposait sur-le-champ à l’empereur la convocation du corps législatif, des préparatifs militaires, la formation d’un corps d’observation sur le Rhin. Malheureusement il était trop tard pour reprendre un rôle qui aurait pu être efficace deux mois plus tôt. En Bohême, le ministre français avait désormais affaire à un vainqueur tout-puissant, orgueilleux de ses succès, doué de scrupules et fort peu disposé à la cession d’une parcelle de territoire allemand ; à Paris, il avait affaire à un souverain affaibli par la maladie, déconcerté et indécis, qui, après lui avoir accordé tout ce qu’il demandait, la convocation du corps législatif et la formation d’un corps d’observation, rétractait pendant la nuit ce qu’il avait fait la veille. Du soir au matin. Napoléon III avait subi d’autres influences ; il se payait maintenant de mots sonores sur les nationalités, sur les « grandes agglomérations, » échappant ainsi à la nécessité d’agir. Encore une fois, M. Drouyn de Lhuys donnait sa démission. C’était pour lui une manière de se dégager des conséquences d’une situation fausse. La révolution d’équilibre à laquelle il avait coopéré sans le vouloir, faute d’avoir pu mettre en mouvement la volonté d’un maître imprévoyant et indolent, cette révolution n’allait pas moins s’accomplir au détriment de la France avec le concours de la France elle-même prêtant à l’ambition prussienne l’appui des indécisions napoléoniennes. L’irréparable était entré dans la politique, et l’histoire que raconte M. le comte d’Harcourt avec quelques documens nouveaux a le douloureux mérite de montrer une fois de plus ce qu’il en coûte à une nation de se livrer à un maître, de ramener à la source de ce torrent d’événemens, où elle allait bientôt s’engloutir, la grandeur française. Le reste est l’affaire de 1870.

De tous les hommes qui ont eu un rôle dans ce cruel passé, diplomates et chefs militaires, combien ont déjà disparu ! combien disparaissent tous les jours ! Il en est un qui vient de s’éteindre à son tour dans une retraite prématurée : c’est le général Ducrot, mort récemment dans une sorte d’obscurité à Versailles. Celui-là n’était pas un diplomate : il avait la tête trop vive et l’imagination trop prompte pour ne pas se perdre un peu dans la politique ; mais c’était un vrai cœur de soldat et une intelligence militaire supérieure. Il avait certes le droit d’être compté parmi les plus vaillans et les plus fidèles serviteurs de la France. Il avait grandi au feu, en Afrique, en Crimée, en Italie, et si, lorsqu’il a eu à conduire une armée dont il méritait la confiance, il n’a pas été plus heureux que bien d’autres, il était du moins d’avance innocent des désastres qui allaient s’abattre sur le pays. À une époque où il avait un commandement supérieur à Strasbourg, il était la sentinelle la plus vigilante sur le Rhin. Il ne cessait de signaler avec une clairvoyance mêlée d’émotion, avec une généreuse