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qu’il agît à tout prix pour sauver ses intérêts vitaux, mais ce qu’elle ne pourra pas, c’est l’empêcher de sentir ensuite l’abaissement et la ruine qui résulteront de cette conduite. Les effets d’une mauvaise politique extérieure ne se manifestent point en un jour. Voyez ce qui s’est passé sous l’empire. Pendant longtemps, la politique extérieure de l’empire a eu pour elle la majorité de l’opinion publique française ; elle a même été saluée par les applaudissemens enthousiastes de l’opposition libérale, qui oubliait sa haine contre un gouvernement détesté au dedans en faveur des prétendues grandes œuvres qu’il accomplissait au dehors. Pour modifier cette manière de voir, il a fallu que la guerre de 1870 vînt nous porter le coup terrible dont nous sommes encore meurtris, et que des événemens plus récens fissent éclater au grand jour le danger dont l’ambition des jeunes peuples auxquels nous avons donné naissance sur la Méditerranée menace nos intérêts personnels. La république aurait tort de croire qu’elle ne commet pas de fautes parce que le pays tarde à les lui reprocher. Si elle suit les conseils des hommes qui l’engagent à traiter la France comme une moribonde que le moindre mouvement pourrait tuer, il est possible que des années s’écoulent sans qu’on lui demande un compte sévère d’une pensée aussi malheureuse. Mais un moment viendra cependant où l’on s’apercevra qu’elle a compromis l’héritage des gouvernemens précédens, et qu’à force d’effacer la France, elle l’a fait descendre au rôle de l’Espagne ou de la Belgique. À ce moment, ceux qui auront été les plus ardens à lui imposer la politique d’abstention absolue l’accuseront avec le plus de violence d’avoir laissé se produire les conséquences fatales de cette abstention, de même que nous avons vu en ces dernières années les hommes qui avaient le plus ostensiblement approuvé la politique de l’empire condamner avec le plus de sévérité les effets inévitables de cette politique. Il nous semble donc que le moment est venu pour la république d’examiner avec soin quelle doit être sa règle de conduite dans les affaires extérieures ; elle a pu éviter jusqu’ici toute résolution, mais les événemens de Tunisie et d’Egypte ne lui permettent pas un ajournement plus long ; car elle est exposée à faire banqueroute à sa mission nationale et à préparer à notre pays des désastres moins bruyans, mais plus graves peut-être, que ceux au milieu desquels s’est effondré l’empire.


I.

On a bien souvent observé qu’à chaque période de notre histoire, le pays s’éprenait d’un mot, qui devenait pour lui la formule absolue de la politique, d’un mot auquel il croyait comme à un article