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premiers rôles, il aurait trouvé plus conforme à la dignité de la France de n’y point poursuivre des succès secondaires. On n’oublie qu’une chose, c’est qu’il est allé à la conférence de Londres, où le premier coup a été porté au congrès de Paris, et cela, lorsque notre pays, encore sous le poids de l’invasion, aurait eu peut-être quelques motifs de refuser sa participation à une réunion européenne qui avait pour mandat de déchirer une convention internationale dont nous avions été les principaux auteurs.

Pour M. Thiers comme pour tous les hommes politiques dignes de ce nom, le recueillement n’était pas le suicide. Il est possible de soulever des applaudissemens à la tribune en déclarant « que, lorsque la France se retire et se tient à l’écart, elle agit à la longue dans la balance sensible des intérêts européens, plus encore par le vide qu’elle y laisse que par le poids qu’elle y pourrait apporter. » Par malheur, ce n’est là qu’une phrase de rhétorique à laquelle la réalité ne répond pas. Dans cette ardente lutte pour la vie qui fait, le fond de la politique internationale, l’abstention n’a jamais été une arme capable de donner la moindre victoire. Lorsqu’une nation se retire et se tient à l’écart, elle ne laisse pas de vide, par l’excellente raison qu’une autre s’empresse de porter dans la balance le poids qu’elle n’y met plus. Elle perd sa place, voilà tout ! et si plus tard elle veut la reprendre, ce n’est que par la force qu’elle y peut arriver. La prudence ne consiste donc point, comme on le prétend, à pousser le sentiment de sa faiblesse à un tel degré qu’on finisse par l’inspirer à ses rivaux plus encore qu’on ne l’éprouve soi-même ; elle consiste seulement à mesurer son action à ses forces, à ne travailler qu’aux œuvres utiles, à laisser de côté les autres, à les réserver pour des temps meilleurs. Ainsi la comprenait le prince Gortchakof au lendemain des échecs de son pays en Crimée. On lui demandait d’agir en Italie, de s’immiscer dans les affaires d’une nation dont les intérêts étaient complètement séparés de ceux de la Russie, et il s’enfermait aussitôt dans un recueillement qui lui permettait de repousser des sollicitations importunes. Mais dès qu’il s’agissait d’une cause russe, son langage et sa conduite étaient bien différens. Rien de plus habile, rien de plus avisé, et, en un sens, rien de plus actif que la politique du gouvernement de Saint-Pétersbourg dans les amures qui ont suivi le traité de Paris. On sait avec quelle dextérité le prince Gortchakof sut détacher la France de l’alliée avec laquelle elle venait de battre la Russie, et l’amener à faire campagne avec lui dans la défense des petites nationalités chrétiennes de la presqu’île des Balkans. C’est avec notre concours que s’accomplit la réunion de la Moldavie et de la Valachie, et les changemens dynastiques opérés en Serbie. Deux ans à peine après la prise de Sébastopol, des vaisseaux français parurent dans les eaux