Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occidentales, sous le bénéfice de la terreur salutaire qu’elles inspiraient aux musulmans. Aujourd’hui, on a dit aux Turcs qu’ils n’avaient désormais rien à craindre ; que la Russie ne pouvait plus bouger, car le prince de Bismarck lui imposait silence ; que la France était également tenue en respect par l’Allemagne ; que l’Angleterre isolée serait réduite à l’impuissance. Sur ce dernier point des doutes doivent commencer à leur venir. L’Angleterre a montré qu’elle ne se laissait arrêter par personne quand il s’agissait de son honneur et de ses droits. Mais quant à la France, on n’y croit plus. De deux choses l’une : ou l’Angleterre, continuant son œuvre, jouera seule en Orient le rôle qu’y jouaient jadis avec elle la Russie et la France, et inspirera assez de respect aux musulmans pour sauver tous les Européens sans distinction de nationalité, ou elle ne songera qu’à elle-même, à ses intérêts propres, et dans ce cas, comme je le disais à l’instant, c’en est fait des grands établissemens orientaux dont depuis deux cents ans les nations occidentales avaient couvert les côtes de la Méditerranée !

En admettant la première hypothèse, la plus favorable des deux, la mission protectrice accomplie par l’Angleterre dans les contrées orientales n’y relèvera pas le prestige détruit de la France. C’est donc contre nous que se tourneront les efforts et la haine du monde musulman qui, ayant cessé de nous croire forts, n’aura plus pour nous ni crainte ni sympathie, car les Orientaux, on le sait, n’aiment que ceux qu’ils redoutent. Plaise à Dieu que nous n’ayons pas besoin un jour de deux fois plus de forces en Algérie et en Tunisie pour maintenir le fanatisme musulman qu’il ne nous en aurait fallu pour l’étouffer dans son germe en Égypte autour de la mosquée d’El-Azar ! La déplorable politique que nous avons suivie nous a enlevé tous les moyens d’action que nous possédions autrefois en Orient. L’échec pitoyable de la démonstration navale franco-anglaise dans les eaux d’Alexandrie est une preuve nouvelle de cette grande vérité que lorsqu’on ne sait pas se résigner à temps à un léger effort, on est condamné plus tard à un effort considérable. Jadis la vue d’un seul vaisseau européen faisait trembler les Orientaux. En 1860, après les massacres de Damas, de Hasbaya, de Rachaya et de Deïr-al-Kamar, tous les musulmans s’étaient armés à Beyrouth et se préparaient à égorger les chrétiens. Heureusement, une corvette russe arriva par hasard dans le port et salua la ville de vingt et un coups de canon. Beyrouth était sauvé ! Il ne fallut pas autre chose pour arrêter les assassins. Aujourd’hui on a tant exécuté de démonstrations navales platoniques à Dulcigno, et ailleurs, que ce moyen-là est usé auprès des musulmans. Arabi n’a fait que rire de la démonstration de la France et de l’Angleterre. Des mesures plus