Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

énergiques ont dû être employées pour le convaincre que le christianisme pouvait encore se défendre contre l’islamisme. Mais cette conviction rétablie par l’Angleterre ne sauvera ni nos nationaux ni nos intérêts particuliers. Notre prestige est détruit en Syrie, et tout fait supposer que notre colonie égyptienne, si cruellement atteinte, ne se reformera pas sous le pavillon anglais, du moins telle qu’elle était, et surtout telle qu’elle aurait été bientôt. Oh ! sans doute, il y a des personnes qui s’en consolent. Qu’est-ce donc que la perte de nos grands établissemens orientaux pour des gens uniquement absorbés par la question de la mairie centrale ou de l’épuration de la magistrature ? Ayons un maire à Paris, cela vaut mieux que d’avoir des colons en Égypte et en Syrie. Soit ! pourtant ces colons qui allaient par milliers exploiter les plus riches contrées de la Méditerranée, qui y établissaient de florissantes industries, qui créaient entre elles et la France un immense mouvement de commerce, méritaient peut-être un peu moins de dédain qu’on n’en professe pour eux. Ils représentaient non-seulement notre influence politique établie et consolidée au cœur du vieux monde, au point de jonction de trois continens, mais une part considérable de notre fortune publique. Qu’on se résigne à notre abaissement national, c’est peut-être conforme à la modestie nouvelle de nos ambitions ; mais qu’on n’ait que de l’indifférence pour la destruction d’une source de richesses qui contribuait au bien-être démocratique, c’est ce que rien n’explique et rien ne justifie.

Ce n’est pas tout encore, car il faut bien prévoir l’avenir. On refuse de sentir aujourd’hui les pertes que nous faisons ; on les accepte avec philosophie ; on n’y pense même pas. Mais qui sait ? un jour peut venir où il ne sera plus possible de conserver cette insensibilité. La place que nous laissons libre en Orient ne restera point vacante. D’autres brûlent de s’en emparer. Quand tous nos nationaux, abandonnés par le gouvernement métropolitain, auront quitté leur industrie, leur commerce et seront revenus en France ; quand le protectorat catholique, déserté par nous, sera passé aux Italiens ou aux Autrichiens ; quand nous aurons laissé le champ libre à l’Angleterre ; quand l’Allemagne, grâce à son alliance avec la Turquie, se sera peu à peu infiltrée dans les pays où nous aurons renoncé à continuer notre œuvre historique, croit-on que notre sécurité intérieure, cette sécurité pour laquelle nous aurons accepté tant de pertes, sera mieux assurée ? La France a de singuliers retours d’opinion ; plus tard peut-être, humiliée, fatiguée, ruinée, sentant enfin combien elle s’est diminuée elle-même, sera-t-elle tentée, pour compenser ses échecs sur la Méditerranée, de reprendre sur le continent une politique plus active. Elle sacrifie aisément aujourd’hui ses