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de l’Asie pouvaient nous être fermées ? Qu’en resterait-il si notre fortune extérieure, dont j’ai montré l’importance, était dilapidée par des créanciers convaincus de notre impuissance à faire valoir contre eux nos droits dédaignés ? Qu’en resterait-il si nos nationaux, dégoûtés des grandes entreprises qui se termineraient toujours pour eux par des déboires, renonçaient à porter au loin l’activité du génie français ? Enfermés dans nos frontières réduites, à l’humiliation de l’abaissement se joindrait pour nous la ruine. Est-ce là l’avenir que nous a promis la république ? Est-ce là ce qu’elle s’est engagée à faire de la France ? Assurément, il n’y a pas à l’extérieur de politique monarchique et de politique républicaine ; mais il est à craindre, hélas ! qu’il n’y ait des mœurs républicaines tellement débiles et tellement médiocres qu’elles rendent impossible la vraie, l’unique politique qui s’impose à l’extérieur aux gouvernemens, quels qu’ils soient. La chambre des députés assumerait une grande responsabilité en continuant à sacrifier les intérêts vitaux du pays aux plus tristes caprices ; elle ne perdrait pas seulement la Méditerranée, elle perdrait la république, qui ne saurait résister longtemps aux fautes qu’on commettrait eu son nom. Mais cette chambre n’est pas seule coupable du mal déjà fait. Les hommes qui devraient être ses chefs et ses guides n’ont-ils pas flatté toutes ses passions, obéi à toutes ses fantaisies, suivi docilement toutes ses fluctuations ? Il est à souhaiter qu’ils comprennent enfin que l’heure est venue de renoncer aux luttes, aux divisions de personnes pour travailler en commun au salut du pays. Ne laissons pas diminuer la France, ne la laissons pas tomber au rang de puissance secondaire. Elle a subi bien des malheurs ; il lui reste pourtant encore assez d’énergie et assez de gloire pour ne pas abdiquer. La réduire graduellement au rôle d’une Belgique ou d’une Suisse ayant un territoire plus étendu, une population plus considérable, mais n’exerçant guère plus d’action sur les destinées du monde, serait impardonnable. Le gouvernement qui prendrait la responsabilité d’une pareille banqueroute nationale mériterait le mépris de la postérité. Si la grande histoire de France, cette histoire trop calomniée, mais qui, à travers les péripéties les plus diverses, a toujours été signalée par des œuvres éclatantes, devait aboutir, sous la république, à un tel désastre, tous ceux qui avaient mis leur foi et leur espérance dans le gouvernement nouveau pourraient-ils se consoler, en présence de l’humiliation de la patrie, d’avoir été si cruellement trompés ?


GABRIEL CHARMES.