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des villes importantes, et surtout l’arsenal de Toulon, ne pourraient recevoir de gros matériel. En Espagne, le danger serait plus grand parce que, si la ligne vulnérable de Barcelone à Valence est coupée, toute communication rapide avec le centre du pays disparaît ; il ne reste que des chemins peu praticables à travers les plateaux rocheux qui s’élèvent du littoral et l’isolent. Que dire de l’Italie ? Deux lignes bordent ses longues côtes et courent, sans quitter le rivage, l’une de la frontière au Tibre, l’autre de Ravenne à Otrante. Qu’au moment d’une guerre, quelques embarcations jettent sur plusieurs points des côtes le petit nombre d’hommes nécessaires pour mettre les lignes hors de service, toute la défense du littoral sera compromise, et surtout s’il faut du fond de l’Italie amener toutes les forces sur les Alpes, leur transport ne pourra emprunter qu’une ligne, Rome, Florence, Bologne. L’on peut calculer quels retards amènerait une pareille accumulation : ce que l’on ne saurait prévoir, ce sont leurs suites, et peut-être quelques obscurs matelots, sur les rives de la Ligurie ou de l’Adriatique, auront décidé par une destruction ignorée le succès qui donnera, au soleil du champ de bataille, la gloire aux hommes de guerre et la supériorité à un peuple. Cette faculté de faire avec de faibles moyens beaucoup de mal est un des caractères de la guerre de côtes. Pour les attaquer, il n’est même pas besoin d’y prendre pied. Du large, l’incendie peut être allumé sur le littoral par un navire que l’obscurité de la nuit rend inattaquable ou l’éloignement presque invisible ; le plus fable bâtiment est assez fort pour promener la terreur de plage en plage et imposer aux villes ouvertes qu’il épargne de fortes rançons. Enfin l’opération qu’on a nommée d’abord, le blocus, s’accomplit sans débarquer un homme, sans tirer un coup de canon ; il reste à montrer que l’immobilité où semble alors s’endormir la force des armes est le moyen le plus redoutable de guerre.

La civilisation se mesure au trouble que la guerre apporte aux intérêts, et dans la guerre, le blocus prend une importance d’autant plus grande que grandit la civilisation. Quand elle commence, les peuples, nomades encore, ignorent la fixité de relations d’où naît le commerce ; sans industrie, ils sont sans ressources ; leurs besoins les sollicitent de prendre à d’autres ce qu’ils ne savent pas produire ; la paix est. pour eux stérile, la guerre les enrichit. Des barbares ne sont aptes à vaincre que des peuples à peine sortis de la barbarie ou près d’y rentrer par la décadence, c’est-à-dire connaissant à peine ou ayant oublié la loi du travail. Sans travail, pas de commerce intérieur ; sans commerce extérieur, pas de marine ; sans marine, pas de blocus. La terre, par son étendue et sa fertilité, forme l’unique richesse ; puisque la nature seule produit, c’est la possession du sol qu’on se dispute. Dans cette première période,