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en face de lui-même. Il ne voyait que des serviteurs et des moines. L’air des camps lui eût été plus sain que celui de cet Escurial, où il finit par passer la plus grande partie de sa vie au milieu des processions, des reliques et des prières. Il introduisit insensiblement les formules de la dévotion jusque dans les détails administratifs, et ses serviteurs lui écrivaient, par exemple : « J’ai reçu la très sainte réponse du roi. » — « Au moment de prendre une décision, met le roi en note sur un rapport d’un secrétaire, je me confesserai, je recevrai la communion, je me recommanderai à Dieu. » M. Forneron écrit que « Philippe, en sa qualité de délégué de Dieu, devait se consulter avec son confesseur pour apprécier la portée de son mandat. Fray Diego de Chaves (le confesseur du roi) disait de la sorte son mot dans toutes les crises. « Chaves, dit-il, était un dominicain remuant, doucereux, au profil ascétique. » Nous croyons que le confesseur excellait surtout à deviner les pensées cachées du roi, à les lui suggérer à lui-même, à le pousser aux résolutions auxquelles il le voyait déjà enclin. Chaves n’était pas un maître, ni même un guide ; il donnait seulement aux résolutions dictées par la passion personnelle de Philippe des voiles religieux ; il le réconciliait avec lui-même. Au fond, Philippe, si dévot qu’il fût, et peut-être parce qu’il était très dévot, ne se laissa jamais conduire ni même distraire par les prêtres ; il faisait peu d’attention à leurs discours ; il méprisait toute l’humanité, et il n’était pas si aveugle qu’il ne vît l’homme dans le prêtre. Il vivait dans une façon de monastère au milieu de moines pareils à ceux dont Saint-Simon disait plus tard, pendant son ambassade : « Je ne vis jamais moines si gras, si grands, si grossiers, si rognes. L’orgueil leur sortait par les yeux et de toute leur contenance. Ces maîtres moines poussaient leurs coudes dans le nez des dames et dans celui de la camarera-major comme des autres, qui toutes, à ce signal, leur faisaient une profonde révérence, baisaient humblement leurs manches, redoublaient après leur révérence. » Le roi regardait cette moinerie de haut, comme une partie de sa domesticité ; ne traitait-il pas presque de pair avec le pape ? Il se sentait plus catholique, plus dangereux à l’hérésie. Pendant toute la dernière moitié du XVe siècle et le commencement du XVIe la chaire de Saint-Pierre avait été occupée par des papes connus pour leur indifférence religieuse, et cette indifférence n’avait pas été une des moindres causes de la réforme. En Espagne, et Philippe avait surtout l’âme espagnole, une lutte séculaire contre les Maures avait tendu le sentiment catholique jusqu’à une sorte de fureur ; l’inquisition était une des expressions du sentiment national ; le moine était un soldat vulgaire, brutal et grossier comme le soldat, mais aussi nécessaire que lui. Philippe se croyait indispensable