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à une fièvre ; on envoya un médecin au prisonnier, on acheta des remèdes. Philippe n’oublia aucun détail ; il choisit le religieux qui fut chargé d’assister sa victime, Montigny fut lié sur une chaise et étranglé ; on couvrit son corps d’une robe de franciscain pour cacher le cou et le visage, et on lui fit un pompeux enterrement dans l’église de Simancas. Le roi se fit écrire par le geôlier comme s’il ignorait tout : « Montigny vient de mourir de la maladie causée par un long empoisonnement ; elle s’est aggravée malgré les remèdes et les soins du licencié Viana, malgré la consultation de Luis-Fernandez de Tordesillas. Rien n’a réussi. Le malade ne cessait de se plaindre. Dieu a bien voulu le rappeler à lui hier entre trois et quatre heures du matin. Fray Hernando del Castillo, qui se trouvait ici par hasard, a consolé le mourant et lui a administré le très saint sacrement. On peut concevoir les plus légitimes espérances sur le salut de son âme. »

Elle serait longue la liste des fautes et des crimes de Philippe. Sans doute il avait tout un peuple pour complice : tout semblait permis pour conserver l’unité de la foi catholique et la grandeur du royaume. C’est de nos jours seulement qu’on a connu exactement la fin du malheureux Montigny ; juges, geôliers, ministres de Dieu, tous gardèrent le secret, tous sentaient comme Philippe. Granvelle, fin diplomate, habitué aux plus grandes affaires, homme d’état consommé, n’hésitait pas à conseiller au roi d’Espagne de mettre à prix la tête du prince d’Orange : seul, Farnèse avait empêché la publication du fameux ban qui promettait vingt-cinq mille écus d’or et l’anoblissement à celui qui tuerait le prince. « Certaines personnes, ose-t-il écrire, estiment qu’il pourra sembler une bassesse et indécence à un prince si grand que, ayant contre lui commencé la guerre et employé telles forces, maintenant il viendrait à un autre remède. » Farnèse aimait le grand jour des batailles, il était aussi humain que le permettait un temps cruel ; jamais Philippe ne lui pardonna ses grands succès ni sa popularité dans l’armée. Les commis, les moines qui entouraient Philippe étaient des hommes d’autre sorte ; si grande d’ailleurs était l’autorité monarchique que le roi pouvait impunément méconnaître les plus grands services. Farnèse mourut, sachant que le comte de Fuentès était arrivé à Bruxelles pour lui prendre le commandement de l’armée. En vain le duc d’Albe avait-il dans les Flandres multiplié les supplices, fait trancher la tête de d’Egmont et de Horn, il fut rappelé et remplacé par Requesens : « Je baise les pieds du roi, écrit-il, pour la bonté qu’il a de permettre mon retour en Espagne. » Plus tard il ose prendre parti pour son fils don Fadrique, qui avait là un commerce de galanterie avec une fille d’honneur. Le roi voulait forcer don Fadrique à épouser cette fille