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le duc d’Albe le maria brusquement avec une de ses parentes, dona Maria de Toledo. Philippe fit mettre don Fadrique en prison et exila le duc d’Albe dans le bourg d’Uzeda. Don Fadrique resta deux ans enfermé et mourut peu de jours après être sorti de prison. Le duc d’Albe ne fut tiré de la disgrâce que quand le roi eut besoin d’un général pour l’expédition de Portugal. Philippe n’admit jamais qu’on pût lui résister ; aussi toute résistance lui troublait pour ainsi dire la raison et le jetait hors de lui. Quand on voit ses portraits, on est frappé de l’extrême placidité de son visage ; l’excès de la hauteur lui donne l’air presque timide. Son calme est effrayant : il regarde le monde de loin et rien ne peut, rien ne doit l’atteindre. Le flegme espagnol se marie avec la lenteur allemande et le fatalisme arabe ; ses ordres partent, volent vers toutes les parties de l’horizon ; des plumes obéissantes recueillent la moindre de ses paroles. Il fait mouvoir au loin des armées invincibles, des flottes audacieuses, il conquiert des mondes nouveaux à la foi chrétienne, son oreille est dans toutes les cours, dans les confessionnaux, dans les alcôves royales. Son or corrompt tout ce qui peut être corrompu, en France, en Angleterre ; même quand il paraît céder, il a toujours la pensée d’un retour. Quand il se décide à remplacer le duc d’Albe dans les Flandres, il lui écrit : « Je sais bien que les rebelles sont perfides, je comprends tous vos argumens pour continuer le système de la rigueur, ils me séduisent, mais je vois que les choses en sont arrivées en une extrémité qui nous contraint à employer d’autres moyens. Toutes mes ressources sont épuisées et je ne sais plus comment avancer ni reculer. Je n’entends toutefois jamais accepter une concession qui ne soit pas conforme à notre sainte foi catholique, quand même je devrais perdre toutes les provinces. « Cela n’empêche pas le roi d’écrire froidement à Requesens, quelque temps après : « Vaut-il mieux détruire le pays par l’inondation comme le propose Veldès, ou par le feu comme le souhaitait le duc d’Albe ? Rien n’a réussi jusqu’à ce jour et cependant la volonté de Dieu n’est pas douteuse ; elle exige qu’on en vienne au rigoureux, au suprême châtiment. » Il raisonne là-dessus, donne ses raisons contre l’inondation et se prononce pour l’incendie. On voit ici sa pensée naïve, toute nue ; Philippe est l’exécuteur des volontés célestes ; sa mission est de punir les pécheurs, de supprimer les ennemis de la foi par le fer, par le feu, par tous les moyens. Heretico non servanda fides. » Je ne changerai pas, écrivait-il à l’empereur Maximilien, quand le monde tomberait sur moi. » Il a sur toutes choses des idées absolues : « Vous pouvez encore dire à Hercule le duc de Guise), écrit-il dans une lettre chiffrée, que dans les affaires de la religion, on doit avoir aussi peu de confiance dans Henri III que dans Henri de Navarre. »