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il n’avait pas aperçu, comme Darwin, le fait capital de la « divergence par rapport au type primitif » qui résulte de la sélection naturelle chez les êtres vivans et qui produit la variation finale des espèces. Toujours est-il que la science naturelle et la science sociale ont montré sur ce point leur intime connexion, qui n’est pas moindre dans tous les autres problèmes. Aussi ne peut-on plus désormais séparer ces deux sciences. Réduire la « sociologie » aux sciences morales, économiques et politiques, c’est se condamnera demeurer dans l’abstrait et à traiter les problèmes d’une manière incomplète par l’oubli de données essentielles; le jurisconsulte, l’économiste, le politique qui ne tiennent pas compte des lois de la « biologie » ressemblent à un médecin qui ne connaîtrait ni la structure ni la fonction des organes, ou, selon la comparaison de M. Spencer, à un forgeron qui voudrait travailler le fer sans connaître aucune de ses propriétés. Il faut donc approuver les travaux qui, comme ceux de MM. Spencer, de Candolle, Ribot, Galton, Jacoby, étudient dans la société humaine les effets de la sélection naturelle et de l’hérédité physiologique ou morale. La philanthropie ne doit pas se contenter des raisons de sentiment : elle doit devenir scientifique. Peu de questions sont plus propres que celle de l’assistance publique à montrer la nécessité de ce progrès et l’extrême complexité des problèmes sociaux, où les droits les plus divers sont en cause et où les lois de l’histoire naturelle viennent encore s’ajouter aux lois de l’économie politique. Que devient, au point de vue du darwinisme, le devoir public d’assistance? En premier lieu, quel en peut être le fondement moral, méconnu par certains partisans de Malthus et de Darwin, et quelles en sont les limites nécessaires? En second lieu, n’y a-t-il pas des lois biologiques qui interviennent dans une question à première vue toute morale, et le législateur peut-il négliger les conséquences sociales de ces lois naturelles? En un mot, la philanthropie réglée par la science a-t-elle une influence heureuse ou nuisible sur le mouvement de la population, et produit-elle dans la race une sélection utile ou funeste, un progrès ou une décadence? — Tels sont les principaux points qui mériteraient une longue étude et sur lesquels nous voulons du moins attirer la réflexion des lecteurs. Ne fît-on que voir nettement les difficultés et entrevoir vaguement les solutions, on n’aurait perdu ni son temps ni sa peine.


I.

Les partisans de Darwin adoptent généralement, dans la science sociale, cette loi de Malthus dont Darwin lui-même a tiré de si