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survivre qui sont capables de résister à cette pression et même de progresser sous son influence ; or ceux-là doivent être « les élus de leur génération. » Quand un individu succombe, c’est toujours faute de pouvoir triompher d’une certaine action du milieu ambiant, froid, chaleur, humidité, insalubrité de l’air, etc.; il ne peut faire face à une ou à plusieurs des nombreuses forces qui agissent sur lui et en présence desquelles doit se déployer son activité vitale. Il peut dès lors succomber plus ou moins vite, selon la vigueur de son organisation et les incidens de sa carrière; mais, dans le cours naturel des choses, ceux qui sont imparfaitement organisés disparaissent avant d’avoir une postérité, et les organisations les plus vigoureuses concourent seules à produire la génération suivante. Telle est la sélection naturelle, favorable à l’amélioration de l’espèce, qui se produit dans l’humanité quand on laisse agir la nature sans la contrarier : « C’est, dit M. Spencer, un travail d’élimination naturelle par lequel la société s’épure continuellement elle-même. » Supposez maintenant qu’une philanthropie ignorante de la science sociale et des sciences naturelles entreprenne de corriger la nature, de diminuer à tout prix les chances de mortalité pour les faibles, de les faire survivre artificiellement par ses soins et ses secours, quels seront les résultats pour les générations futures? — D’abord la population s’accroît plus qu’elle ne l’aurait fait; tout le monde se trouve donc réduit à une plus grande difficulté de vivre et soumis à des actions destructives plus intenses. Cet accroissement de la population pourrait encore produire de bons résultats s’il n’était pas dû à un accroissement du nombre des faibles. Mais la survivance des faibles gâte tout : ils se marient avec les forts, qui autrement auraient seuls survécu ; ce mariage altère la constitution générale de la race, il la fait descendre à un degré de force et pour ainsi dire de tonicité moindre, correspondant aux conditions d’existence que l’on a créées artificiellement. Tel un instrument dont les cordes se sont détendues n’a plus des sons aussi forts ni aussi harmonieux. C’est un amollissement de l’espèce, laquelle est devenue du même coup un peu plus nombreuse et un peu plus faible. En conservant la partie la moins vivace des générations présentes, on a préparé la décadence des générations à venir.

Cette décadence se produit encore pour d’autres raisons. Votre philanthropie, disent les darwinistes, supprime ou atténue certaines influences nuisibles, ce qui donne aux constitutions délicates plus de chances de survivre et de se propager; mais vous ne voyez pas qu’à la place des influences défavorables par vous supprimées, vous faites surgir de nouvelles causes destructives. « Si l’on diminue la vitalité moyenne, dit M. Spencer, en protégeant plus efficacement