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Il existe naturellement chez tous les enfans; il est entretenu par le manque d’instruction chez les enfans pauvres et persiste alors jusque chez l’homme fait. Là surtout doit se porter l’effort de l’état, car c’est le point où viennent converger et s’accorder toutes les espèces de justice, défensive, préventive, réparative, non moins que la vraie fraternité ou philanthropie. L’instruction est un devoir et un droit de tous envers tous à tous les points de vue, mais, pour ne parler que du devoir de réparation, où peut-il mieux s’exercer, plus pacifiquement, plus conformément aux véritables intérêts et aux vrais droits de toutes les classes, que par la science distribuée largement à tous? L’instruction, voilà « l’instrument de travail » universel, utile pour toutes les professions, flexible aux emplois les plus divers, qui permet par cela même de trouver des ressources nouvelles quand les ressources habituelles font défaut. Cet instrument général du travail doit être gratuit ; il doit être comme un sol nouveau mis par la société au service des intelligences pour remplacer le sol de la terre déjà approprié et occupé ; il doit être le capital moral distribué par tous à chacun. En outre, l’instruction est peut-être le seul secours public ou, si l’on veut, la seule indemnité, la seule réparai ion publique où l’on ne risque pas de sacrifier l’intérêt et la santé des générations futures à ceux des générations présentes.

Le second moyen au service d’une philanthropie éclairée, c’est le travail, qui par lui-même ne peut qu’être utile; le travail élève le caractère comme l’instruction élève l’intelligence : en obligeant au travail ceux qui en sont capables, en donnant même aux moins bien doués une tâche en relation avec leur capacité, on tend à relever le niveau moral.

Maintenant, à qui doivent s’adresser les bienfaits de la philanthropie et dans quelles limites doivent-ils se restreindre? — En premier lieu, l’enfant abandonné de ses parens se trouve dans un de ces cas de force majeure et de servitude fatale où un membre de la société est incapable, si on ne l’assiste, de participer à la vie sociale. En élevant l’orphelin, la société ne fait point œuvre de charité pure, comme le croient encore ceux qui parlent des enfans élevés par charité ; elle fait simplement œuvre de justice, non-seulement réparative, mais même contractuelle. Soutiendra-t-on que la société aurait le droit de laisser mourir l’enfant trouvé, sous prétexte que la nourriture des enfans est à la charge des parens et que les parens sont inconnus? Une pareille conception du droit serait tout au plus digne de la Chine ou du Japon. Une société au sein de laquelle des enfans peuvent encore se trouver abandonnés est engagée envers ces enfans par ce que les jurisconsultes appellent un quasi-contrat : elle leur doit les alimens avec l’instruction générale et professionnelle, et en