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de consommer les fruits de leur travail jusqu’à ce qu’ils aient assuré la nourriture de tous les êtres qu’il peut vous convenir, à vous ou à vos descendans, d’appeler à l’existence. La procréation des enfans n’est pas un acte de fantaisie individuelle, c’est un acte social et un contrat. Les charges paternelles et maternelles devraient donc être déterminées par la loi. Ce principe faux, que chacun a le droit de procréer à sa guise, sans montrer plus de prévoyance que la brute, sera rejeté un jour, dit Stuart Mill, comme on a déjà rejeté le prétendu droit du commerçant à acheter ou à vendre sans comptabilité et sans grand-livre. Mettre au monde des enfans qu’on ne peut nourrir sera considéré comme une faillite d’un nouveau genre; souvent même, c’est plus qu’une faillite, c’est un homicide par imprudence, lorsque les enfans sont voués à une misère certaine et à une mort presque certaine. Toute liberté entraîne responsabilité.

Stuart Mill accorde sans doute une importance exagérée à l’établissement de lois sur la population dans le présent : celle-ci, en certains pays, comme en France, tend plutôt à trop diminuer qu’à trop croître; de plus, la mise en culture des terres d’Amérique et d’Australie assure pour longtemps des subsistances à l’humanité, même avec un accroissement rapide de la population. Il n’en demeure pas moins vrai que les secours de l’état ne peuvent être illimités et que l’assistance ne peut être érigée en droit revendicable pour l’individu. L’expérience a montré quelle espèce d’ouvrage on peut attendre des ateliers ouverts par la philantropie publique. « Lorsqu’on ne donne plus le salaire en vue de l’ouvrage dont on a besoin, dit Stuart Mill, mais l’ouvrage en vue d’assurer le salaire à ceux qui en ont besoin, on peut être certain que le travail ne vaudra pas le prix qu’il aura coûté : lorsqu’on n’a pas la faculté de congédier des journaliers, on n’en peut obtenir du travail que par le fouet. L’assistance aux travailleurs demeure donc seulement un devoir moral et général de l’état. »

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des réformes économiques ou politiques qui permettraient de rendre l’assistance plus sûre et plus effective, tout en écartant les inconvéniens (moraux et physiologiques) de la charité proprement dite: nous avons seulement voulu montrer un idéal et faire comprendre la difficulté non moins que la nécessité de sa réalisation progressive. Les moyens particuliers de cette réalisation sont du domaine de la sociologie et de la politique appliquées. Notons seulement des lois plus parfaites sur la propriété, la répartition plus équitable des impôts, qui ne doivent pas aggraver le prolétariat en retombant pour la plus lourde partie sur les prolétaires eux-mêmes, un meilleur emploi de ces impôts, l’essor donné aux institutions de crédit et à tout moyen moins onéreux que