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dans la question des droits et devoirs réciproques, il faut, entre le présent, considérer l’avenir. À ce point de vue, il redevient vrai de dire avec les malthusiens et les darwinistes que l’accroissement des subsistances ne pourrait suivre l’accroissement de la population, Il y a certainement, comme le montre Malthus, une conséquence absurde impliquée dans le droit indéfini et illimité à l’assistance et au travail : c’est que les fonds destinés à entretenir le travail peuvent croître à volonté dans un état et qu’il suffit pour cela d’un ordre du gouvernement ou d’une taxe établie par l’inspecteur, comme la taxe d’Elisabeth. Ordonnez donc aussi qu’il vienne deux épis de blé partout où jusqu’ici la terre n’en a produit qu’un, ce ne sera pas plus déraisonnable. Quand Canut défendait aux vagues de toucher ses pieds royaux, il ne s’arrogeait pas un pouvoir plus grand sur les lois de la nature. « Dire qu’il faudrait fournir de l’ouvrage à tous ceux qui ne demandent qu’à travailler, c’est vraiment dire en d’autres termes que les forces destinées au travail dans un pays sont infinies, qu’elles ne sont sujettes à aucune variation, que sans égard aux ressources du pays rapidement ou lentement progressives, stationnaires ou rétrogrades, le pouvoir de donner de l’ouvrage et de bons salaires aux classes ouvrières doit rester absolument le même. Aussi cette assertion, conclut avec raison Malthus, contredit les principes les plus simples et les plus évidens de l’offre et de la demande et renferme implicitement cette proposition absurde qu’un territoire limité peut nourrir une population illimitée. » La question de l’assistance est inséparable de la question des subsistances et de la population : elle est pour ainsi dire bilatérale ; le droit de mettre des enfans au monde n’est point un droit purement individuel et personnel ; il y a là un acte qui engage non-seulement les païens, mais la société entière. Quand les paresseux et les insoucians appellent de nouveaux êtres à la vie, c’est sur les hommes laborieux et prévoyans que retombe injustement la tâche de les nourrir. Il n’est pas besoin de porter son enfant au tour pour le mettre à la charge de la société : quiconque remplit sa maison d’enfans qu’il ne peut nourrir change sa maison même en hospice, et cela de sa propre autorité, sans consulter les convenances ou les ressources d’autrui. Il y a là une évidente violation de la justice contractuelle. L’état pourrait donc dire au travailleur : Vous me demandez une promesse, mais êtes-vous disposé vous-même à en faire une autre en échange ? Mon devoir est corrélatif à votre devoir, et votre droit, loin d’être inconditionnel, est subordonné à des conditions indispensables. Voulez-vous renoncer au droit de propagation ? Si oui, l’assistance est possible ; si non, elle ne l’est pas, car vous ne pouvez exiger de ceux qui ont travaillé avant vous, produit, épargné, qu’ils s’abstiennent