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tantôt M. de Bismarck, tantôt M. de Manteuffel, à écrire ou à recevoir des dépêches. Il avait parfois de terribles surprises, même des craintes sérieuses, toujours renaissantes, dans ses démêlés avec cette diplomatie impitoyable d’un vainqueur hautain : il ne se décourageait pas. Quand les négociations lui laissaient une trêve, il s’occupait de l’administration. Il voyait les chefs de service, les généraux, les représentans de la banque, tous ces hommes utiles qui lui prêtaient le secours de leur expérience pratique. Il préparait avec eux la solution des questions les plus épineuses du moment. Quand il n’était pas tout entier aux affaires de diplomatie ou d’administration, il était à l’assemblée, dans les commissions, traitant en toute indépendance avec les partis, résistant aux entraînemens dangereux, gouvernant par la parole comme par l’action. Il se multipliait sans s’épuiser.

Ce qui avait été surtout son mérite, son honneur et la force de son gouvernement, c’est que, sans hésiter un instant, dès le premier jour, il avait fait entendre une parole de confiance au milieu des deuils et des dêcouragemens ; il avait donné le mot d’ordre de la politique nouvelle. Dans des conditions différentes, bien aggravées assurément, M. Thiers était en 1871 ce que M. de Talleyrand avait été en 1815. M. de Talleyrand, arrivant à Vienne après les désastres qu’on croyait alors incomparables, avait l’habileté et la bonne fortune de dire le mot décisif d’une situation, de relever d’un seul coup la France dans les conseils de l’Europe. M. Thiers, lui, ne paraissait pas dans un congrès. Il était de toute façon dans les circonstances les plus défavorables ; mais il rendait le service de dire, lui aussi, le mot décisif, de donner une impulsion en sage autant qu’en patriote, de raviver dans le pays le sentiment de ses destinées, de son passé et de son avenir. Il avait dit dans ses premiers discours, qui étaient un acte de foi et de confiance : « Je ne doute pas de la puissance de la France… Oui, cette puissance de notre pays est ma consolation dans nos douleurs actuelles. Oui, je crois à son avenir. Oui ! oui ! j’y crois, mais à la condition que nous aurons enfin du bon sens, que nous ne nous paierons plus de mots, que, sous les mots, nous voudrons mettre des réalités et que nous aurons, non-seulement du bon sens, mais un bon sens courageux… Oui, cet avenir sera conforme à tout ce que la Providence a donné à la France dans tous les temps et qu’elle ne lui refusera pas pour la première fois dans ces jours de calamité où nous sommes. Elle aura pu ses épreuves douloureuses à traverser ; elle les traversera, et j’espère qu’elle en sortira avec la grandeur immortelle que rien n’a encore atteinte sérieusement… » — Lorsque bien des hommes, même des financiers expérimentés, se montraient pleins de doutes et en étaient à croire que le fardeau était trop accablant, que la