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imprévu vînt lui ravir son butin. M. Thiers à son tour avait la généreuse impatience de délivrer au plus vite jusqu’au dernier fragment du territoire occupé. Des deux côtés, par des raisons différentes, on arrivait au même point, et c’est ainsi qu’avant la fin de 1872, la question renaissait pour ainsi dire de la situation, du progrès des choses. Le 4 février 1873, elle prenait une forme diplomatique. À ce moment, la France, dans ses paiemens, avait déjà dépassé le troisième milliard; elle était en mesure de payer le quatrième au courant de mai, et le reste, de mois en mois, avant la mi-septembre. M. Thiers aurait voulu qu’en échange, par une compensation d’équité, l’Allemagne consentît à rappeler son armée d’occupation tout entière au mois de juillet. M. de Bismarck, sans se refuser à une transaction, élevait des difficultés, surtout pour Belfort, qu’il entendait garder jusqu’à la dernière heure, jusqu’au paiement du dernier centime de l’indemnité. Entre le chancelier allemand et le président français, l’ambassadeur impérial, M. d’Arnim, avait ses idées à lui, un projet assez compliqué qui, en paraissant donner à la France quelque satisfaction, la laissait par le fait enchaînée jusqu’au 2 mars 1874, terme primitivement inscrit dans le traité de Francfort; mais le chancelier ne tardait pas à se plaindre, à s’impatienter de la diplomatie de son ambassadeur, qu’il accablait de sarcasmes. Des communications secrètes s’établissaient entre Berlin et Versailles par le quartier-général allemand de Nancy, où M. de Manteuffel et l’agent français, M. de Saint-Vallier, servaient d’intermédiaires, et bientôt même M. de Bismarck, sans plus tenir compte de M. d’Arnim, attirait brusquement la négociation à Berlin. Pendant que l’ambassadeur continuait à aller à Versailles auprès du président, qu’il trouvait malade, — qui l’était bien un peu réellement, mais qui l’était aussi un peu pour la circonstance, — le chancelier se chargeait de trancher la question avec M. de Gontaut-Biron, qui recevait lui-même, d’heure en heure, les instructions de M. Thiers. On était au 13 mars, il fallait en finir !

La vraie, ou plutôt la seule difficulté, tenait à Belfort, que M. de Bismarck prétendait garder provisoirement comme un dernier gage, et la question était d’autant plus délicate qu’il y avait en France un vif sentiment d’inquiétude, qu’on soupçonnait l’Allemagne de se réserver quelque prétexte imprévu pour conserver définitivement la grande place de l’Est. M. Thiers comprenait que si Belfort restait, ne fût-ce que quelques mois de plus, aux mains des Allemands, l’opinion française en serait profondément émue, que cette émotion même deviendrait peut-être un embarras, et il se montrait absolument décidé à ne rien signer si on ne lui donnait pas ce qu’il demandait, la libération simultanée de Belfort et des autres départemens.