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en pleurant beaucoup, payait, pour qu’on la fit sortir, et recommençait à vivre avec elle, tranquille comme auparavant.

Si donc les habitans de la Tunisie paraissent et sont certainement plus aptes à recevoir un peu de civilisation que nos Algériens, il ne faut pas croire qu’ils soient déjà très civilisés. A la campagne surtout, s’ils ont perdu les mœurs belliqueuses qu’on voit aux Arabes chez nous, ils ont gardé dans l’âme un fond de férocité et des goûts cruels auxquels ils donnent large satisfaction lorsqu’ils ont affaire à un ennemi écrasé et vaincu. On sait quel a été le martyre de nos compatriotes de l’Oued-Zargua, sur lesquels plusieurs milliers d’Arabes se sont acharnés. Mais ce massacre est un fait unique; les propriétaires européens ont dès maintenant recommencé à vivre sans inquiétude parmi les indigènes, et à de grandes distances souvent de tout secours. C’est sur leurs pareils, en général, que les gens du pays assouvissent leurs fureurs, et peut-être notre présence et notre justice rendront-elles ces excès plus difficiles et plus rares.

Il y a en Tunisie une dernière race qui est fort importante, la race juive. Les Israélites y sont banquiers, changeurs, courtiers, orfèvres ; ils font aux Arabes de l’intérieur des prêts hypothécaires à des taux extraordinaires; ils ont de plus en plus entre les mains tout le commerce, toutes les sources de richesse du pays. Un agent de notre télégraphe, qui habite l’intérieur, recevait, l’été dernier, la visite d’un juif qui le suppliait de le charger du placement de son argent quand il en aurait, il lui assurait 50 pour 100 d’intérêt et se contentait pour son compte de ce qu’il pourrait obtenir en sus. Des prêts sur la terre à 100 pour 100 ne sont pas rares, me disait ce même agent. A Tunis, la prépondérance Israélite est tellement bien établie que des trois jours de chômage hebdomadaire entre lesquels on pouvait choisir, le vendredi jour des musulmans, le samedi jour des juifs, le dimanche jour des chrétiens, c’est celui des juifs qui a été adopté ; c’est le samedi que la vie commerciale s’arrête et que la douane même, qui relève de la commission financière internationale, est fermée.

Les juifs portent le costume tunisien, avec cette différence que les décrets du bey leur prescrivent d’avoir toujours un turban noir; mais beaucoup s’écartent de la règle, et la jeune génération tend même à renoncer au turban et à porter le costume européen. Les femmes sont vêtues comme les musulmanes; seulement elles sortent librement et ne sont pas voilées; elles s’engraissent de même artificiellement.

Les juifs ont salué avec bonheur l’occupation française. Ils n’ignorent pas que leurs coreligionnaires d’Algérie ont été faits citoyens français, ils se flattent d’obtenir la même faveur. Très actifs, très intelligens, ils ont fondé une école pour les enfans pauvres de leur race et ils y