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reine d’Angleterre, Élisabeth, toujours à l’affût de ce qui se passait à la cour de France, y prêtait, une oreille attentive. La réputation si bien établie d’homme à bonnes fortunes, qui entourait d’une sorte d’auréole le nom du duc de Nemours, lui avait donné une envie folle de le connaître. Le comte de Randan, qui se rendait en Écosse, traversant Londres, elle le reçut au passage et mit naturellement l’entretien sur le duc, sa grande préoccupation du moment. Randan, « aussi export aux bagatelles de la galanterie qu’aux armes, » lui fit avec intention un portrait si séduisant du duc qu’il vit briller dans ses yeux une étincelle d’amour ; il n’eut donc pas grand peine à lui faire avouer qu’elle désirait le connaître. À son retour en France, Randan en parla au duc et lui fit entrevoir que, s’il se rendait en Angleterre, il aurait peut-être quelque chance d’épouser la reine. Randan s’en ouvrit également à François II, qui y vit une heureuse diversion à ce fâcheux procès de Mlle de Rohan et peut-être un moyen de rapprochement entre la France et l’Angleterre, profondément divisées alors à l’occasion de l’Écosse. Il encouragea donc Nemours à tenter l’aventure ; une couronne étant au bout, le duc, par prudence, envoya en éclaireur à Londres Lignerolles, son plus fidèle serviteur. Lignerolles étant revenu avec une réponse encourageante, il n’y avait plus à hésiter. Le duc songea à ses préparatifs. François II l’aidant de sa bourse, il acheta des chevaux, des équipages et commanda les plus riches costumes. Tous les jeunes gentilshommes qui se modelaient sur lui briguèrent l’honneur de l’accompagner, quand tout d’un coup le projet de voyage se rompit. Brantôme nous en dit le motif : « Une dame le serroit trop d’amour. » S’il ne la nomme pas, il la désigne suffisamment pour qu’on ne s’y trompe point. C’était la duchesse de Guise, Anne de Ferrare, si belle, à l’en croire, que, la voyant un jour danser avec Marie Stuart, il ne put dire « qui l’emportoit en beauté. »

C’est bien à la duchesse de Guise que Françoise avait fait allusion lorsqu’elle avait dit au duc qu’une femme le détournait de l’épouser ; c’était, sans aucun doute, pour cela que le duc avait renoncé à poursuivre son projet de mariage avec Lucrèce de Ferrare ; l’inclination de la duchesse pour lui datait de longues années. « J’ai connu deux dames, nous dit en effet Brantôme, qui ont bien aimé le duc de Nemours et qui en ont brûlé à feu couvert et découvert. Pour en aimer trop une, il ne voulut aimer l’autre, qui pourtant l’aimoit toujours. » Françoise de Rohan fut donc sacrifiée à la duchesse de Guise.

Le 7 septembre 1560, reprenant le procès si brusquement interrompu par la conspiration d’Amboise, Françoise déposa les douze