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— Ce sont eux qui seront l’honneur de Mettili, mon père, mais sauraient-ils faire le bonheur d’une femme?

— O mes yeux ! répondit le vieillard, ceux qui sont forts et vaillans sont ceux qui aiment le plus et...

— Et qui seraient capables d’accomplir toutes les impossibilités que dicte le caprice d’unie femme? répliqua tout d’un coup la jeune fille.

— Oui, continua le père, qui ne perdit pas contenance, surtout si la bouche qui commande ressemble au fruit du jujubier et si la main qui ordonne est plus blanche que le lait des chamelles.

La jeune fille ne répondit pas. À ce moment-là, du reste, deux cents cavaliers, en peloton serré, se dirigeaient, au milieu d’un nuage de poussière et de fumée, du côté où se trouvait la tente de Kouïder. D’abord l’allure des montures fut lente, puis, graduellement, passant du petit pas à l’arable et de l’amble au galop, les deux cents chevaux, avec leurs cavaliers rivés à la selle, s’élancèrent sur le groupe formé par le chef de la djammah et ses invités. C’était l’élite des jeunes gens des tribus d’Ouargla qui venaient saluer Kouïder, le noble chef de l’oasis amie. Soudain les cavaliers se dressèrent sur leurs chevaux, les fusils tournoyèrent au-dessus de leur tête, les haïcks s’agitèrent, et bientôt hommes et chevaux se mêlèrent dans une pittoresque confusion. Des milliers de coups de feu ébranlèrent les airs. Dans les intervalles où la poudre se taisait, on entendait le bruit sonore des larges étriers de fer et le cliquetis des amulettes d’or qui heurtaient le front des coursiers.

Les femmes, enfermées dans des palanquins établis entre les bosses des dromadaires, battirent des mains lorsque l’escadron passa à côté d’elles. De frénétiques you you, saluant les habiles cavaliers, dominèrent un instant tous les bruits. Ces cris persistèrent longtemps, jusqu’à ce que la clameur féminine, aiguë et puissante, après avoir plané sur le théâtre de l’action, fut couverte, à son tour, par les sons des instrumens de musique qui annoncèrent la fin de la fête.

Alors les cavaliers mirent pied à terre et se pressèrent autour du vieux chef. Néfissa! ce mot montait de leur cœur à leurs lèvres, sans qu’ils osassent le prononcer, mais à les voir entourer si respectueusement le vieillard, on comprenait que leurs hommages s’adressaient autant au vénérable dignitaire qu’à sa fille.

Le vieux Kouïder prodigua ses félicitations aux acteurs de la magnifique scène qui venait de se dérouler devant lui. Toujours cachée, sa fille écoutait. Le soir venu, alors que la lune se levait splendide dans un ciel d’un gris d’opale et que tout dormait dans l’oasis, Néfissa, après avoir parlé avec son père des incidens de la journée, lui tint le langage suivant, qui empruntait aux circonstances présentes une signification qui n’échappa pas au vieillard :