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bien sûre, quoique jusqu’ici le comte fût sûr du contraire; elle a trompé son mari jadis, et justement le jour qu’il fallait pour que la pièce aujourd’hui finisse bien. Trouvez-vous que cette comédie traîne l’esprit sur des pensées ragoûtantes? Non, assurément. Personne n’en est choqué pourtant: l’adultère, ici, légitime l’inceste; béni soit l’adultère ! Pendant que le public s’écoule, Adrienne devient la femme d’André : le spectateur rentré chez lui, la tête sur l’oreiller, est heureux de leur bonheur.

On a repris, au Gymnase, Héloïse Paranquet : cette comédie, est taillée cousue, façonnée de main d’ouvrier. A comparer le texte joué avec celui que l’auteur, M. Durantin, vient de publier, on apprécie mieux le savoir-faire de son collaborateur, M. Dutmas; on voit à plein combien celui-ci connaît les habiletés de son métier. La pièce est artificielle tout entière; elle l’était avant même que M. Dumas y eût touché : c’est par ce qu’il y a mis de plus artificiel encore qu’elle est devenue meilleure et qu’elle le reste; c’est par là qu’après seize ans elle agrée encore au public. Cette brièveté, cette décision données par M. Dumas à l’ouvrage, qui sont comme les accens mis par un maître à l’esquisse d’un élève, cette netteté de l’intrigue et cette rapidité du dialogue surprennent moins aujourd’hui qu’à l’origine ; elles plaisent aussi moins vivement : on a vu depuis assez d’autres drames exécutés selon cette formule. En deux points cependant, la joie du spectateur éclate : c’est où deux ressorts se détendent pour pousser la pièce vers un heureux dénoûment; ni l’un ni l’autre n’est naturel. Le personnage d’Avertin est inventé tout exprès pour le revirement qu’il opère à la fin du troisième acte; il n’a rien à faire dans les données essentielles de la pièce; il n’existait pas dans la version première; le petit mouvement qu’il fait là décide de tout le succès : on ne l’a imaginé que pour ce petit mouvement. Dans la version première, Héloïse ne se déclarait pas à sa fille; elle se donnait pour une amie et se retirait discrètement, à peu près comme fait la comtesse dans Odette, de M. Sardou. C’était déjà beaucoup, n’est-ce pas, et même trop, selon le moindre clerc en sciences sociales et le moindre licencié en psychologie : les mères comme Héloïse Paranquet ne deviennent pas par un coup de la grâce des mères pitoyables et tendres; elles se font racheter leur fille par le père, quand elles ne la vendent pas à un étranger. Mais l’auteur avait besoin de cet artifice pour amener le dénoûment souhaité du public : M. Dumas l’a renforcé. La mère et la fille sont en présence : « Mon enfant!.. — Maman!.. Tu vois comme c’est simple !.. Il n’y a plus besoin de tribunaux!..» C’est fort simple, en effet; il n’y a plus besoin de caractères. Les spectateurs se retirent en ordre : ils remercient l’auteur de cette bonne soirée. Pourquoi Blanche Vigneron, à l’entrée de Mme de Saint-Genis, ne s’est-elle pas jetée dans ses