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passé, il y revenait toujours, s’informait de ce que pouvait être devenue une traduction d’Hamlet dont il me recitait des scènes entières, m’invitant à suivre sur le texte anglais pour mieux apprécier l’exactitude. Le souvenir de cet ami l’occupait sans cesse. Après en avoir discouru avec vous la veille, il vous en écrivait le lendemain : « Vous devriez bien remettre en lumière, dans la Revue, la figure et le talent de Léon de Wailly ; nous parlions hier de sa traduction d’Hamlet, de celle des poésies de Burns; il y aurait également beaucoup à dire de ses livres si remarquables d’analyse et d’observation. Relisez donc Angelica Kauffmann, peinture achevée de la société en Angleterre au dernier siècle, Stella et Vanessa. vrai type du roman biographique, et les Deux Filles de M. Dubreuil, admirable satire de l’éducation féminine de nos jours sous une forme dramatique et peut-être même trop poussée au noir. Toutes ces productions élevées, réfléchies, hors ligne ; quel spirituel et charmant volume on pourrait tirer aussi de cette série d’articles qu’il publiait chaque semaine dans l’Athénêum ou dans l’Illustration! Si j’avais quelques années de moins, je le ferais et j’aimerais vous voir rompre une lance en faveur de ce cher camarade que vous avez connu. »

L’Italie était la terre promise des poètes de cette génération, l’Espagne ne figurait qu’au second rang : on la mettait en musique, en peinture, en rimes plus ou moins extravagantes, mais généralement on s’abstenait d’y aller voir. L’Italie avait cet avantage d’offrir aux pèlerins de l’idéal un sol édenique plus rapproché de nous et des noms d’une résonance incomparable; Raphaël, Michel-Ange, Dante Alighieri, des noms à placer dans un sonnet comme un lumignon dans une lanterne. Scribe lui-même cédait à l’influence et rapportait de Naples la Muette et Fra Diavolo à son collaborateur Auber, qui, sans avoir bougé de son fauteuil, profita l’on sait comment de cette excursion esthétique, et Casimir Delavigne écrivait des dithyrambes que Musset apprenait par cœur et récitait d’enthousiasme pour ennuyer Victor Hugo :


Non, tu ne connais pas encor
Ce sentiment d’ivresse et de mélancolie
Qu’inspire d’un beau jour la splendeur affaiblie,
Toi qui n’as pas vu. les flots d’or
Où nage à son couchant un soleil d’Italie!


Barbier comme les autres projetait cette escapade; Lamartine et Stendhal dans le présent, Goethe dans le passé, nous montraient l’exemple : sans l’Italie rien de complet; qui n’a point aimé ne sait rien de l’amour, qui n’a point vécu à Rome et lié commerce avec Sienne et Florence n’en saurait avoir une idée. Là-dessus, ni la parole,