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ni la gravure, ni la photographie ne vous renseignent; quand vous y êtes, vous découvrez que c’est absolument la même chose que ce que vous vous attendiez à voir, excepté que c’est tout différent : souvent plus grandiose, quelquefois moindre, comme il nous arrive pour une femme que nous avons admirée dans ses portraits et dont la présence nous déconcerte par tout un imprévu de beautés et d’imperfections. Le voyage de Barbier en Italie ne devait amener d’ailleurs aucune modification de son talent ; il s’agissait bien plutôt d’une promenade au pays de l’art que d’une crise de transformation : c’est tout simplement le virtuose qui se déplace et s’en va poursuivre son concerto sous d’autres cieux ; l’évolution et le perpétuel devenir n’ont ici que faire. Nulle perturbation dans l’organisme. Le voilà tout de suite acclimaté, et de bourgeois de Paris qu’il était la veille, devenant, du soir au lendemain, bourgeois de Rome, de Florence, de Venise ou de Vise ad libitum. Tant de siècles dont il foule sous ses pieds les ruines, au lieu de provoquer chez lui une de ces commotions sacrées qui vous renversent sur le moment et ne sortissent leurs pleins avantages que plus tard, tant de grandeurs et de vicissitudes, tant de races et tant de cultes le laissent calme, et toutes ces merveilles enfouies dans l’humus historique ou se dressant là devant lui dans l’atmosphère ensoleillée, il les contemplerait dans un musée à l’état d’objets d’art que ce serait absolument la même ritournelle. Des vers pour des vers, de la satire pour de la satire. D’autres se contentent de vivre et d’emmagasiner des impressions dont la semence fructifiera plus ou moins selon la circonstance : Barbier prétend que la récolte soit immédiate. Une statue, un tableau, tout lui sert de prétexte, ce qui le fait ressembler à Delille (au Delille des Catacombes), dont son vers a parfois les décevantes qualités de nombre et de sonorisme; le pire est que ces tableaux, ces fresques, ces statues ne sont jamais que des sujets que le poète se borne à décrire sans que sa propre inspiration, après les avoir frappés du pied, rebondisse vers les étoiles. L’effort synthétique n’aboutit pas. Vous le croyez parti pour les hauts sommets où planent les idées générales, et c’est contre des lieux-communs qu’il se heurte à mi-chemin. Ainsi, dans il Pianto, la pièce capitale du volume, le grand poème intitulé le Campo-Santo, ne sera que la paraphrase des fameuses peintures d’Orcagna. Quant au style, rien de changé, cela va sans dire, puisqu’il débarque à peine du vetturino : toujours le procédé des Iambes, une forme classique avec des paquets de couleur, une lubricité d’expression, un cynisme


Où l’on voit qu’un monsieur fort sage
S’est appliqué.