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se laissa faire, et ce n’est certainement pas ce qu’il a fait de mieux : la mercuriale offensante de M. de Sacy le lui prouva de reste. Triste séance que celle où tout un nouveau public qui ne le connaissait que par les Iambes vit apparaître ce petit vieillard cassé, penaud, étroit de forme, maigre de corps, courbé et vacillant d’attitude! Barbier avait une de ces figures qu’on ne regarde pas avant de savoir qu’elles ont un nom, et la mine, ce jour-là, faillit au nom. L’homme n’est vraiment de son temps que dans la jeunesse; plus tard viennent les intérêts, les ambitions et les démentis qu’il s’inflige à lui-même. Je n’ai point à m’expliquer ici sur l’Académie; je trouve, en somme, très naturel qu’on en soit et très naturel aussi qu’on n’en soit pas; ce que j’en dis ne se rapporte qu’à mes relations avec Barbier. Dans le groupe dont j’ai parlé régnait un absolu détachement; nous vivions sous la pure et sainte invocation de l’art, pleins de foi, de prosélytisme, mais sans fracas, ni clameurs vaines : chacun de nous à sa pensée, à ses études, et ne nous retrouvant que pour en discourir librement. On conçoit qu’avec un pareil programme les distinctions académiques et les emplois bien rétribués sous n’importe quel régime devaient compter pour peu de chose ; le sentiment de notre dignité, que nous placions très haut, nous prémunissait d’avance contre certaines démarches médiocrement en harmonie avec les mœurs d’une société démocratique comme la nôtre, où le public a seul mandat de prononcer, de classer et de qualifier. Retournons à ma citation : «En 1851, Brizeux fut attaqué d’une maladie de poitrine, il languit encore quelques années et alla s’éteindre à Montpellier. C’était dans toute l’étendue du mot une exquise nature de poète, unie à l’âme d’un véritable philosophe chrétien. » Quant au christianisme de Brizeux, on en pourrait parler avec moins de complaisance. Sans être aucunement un hérétique, le chantre de Marie et des Bretons partageait là-dessus les idées de sa génération ; il croyait au Dieu de Lamartine et de Beethoven, d’Eugène Delacroix et de George Sand, allait à confesse chez Cousin et communiait avec Jouffroy.

Tout autre était Barbier, catholique fervent et convaincu. C’est naturellement dans sa prose qu’il nous faudra rechercher la trace de ce sentiment religieux; le vers avec son éclat et ses résonances est toujours, en pareil cas, un témoin peu sincère. Tel qui, pour chanter se monte la tête, vous livrera mieux l’état vrai de son âme en devisant pédestrement ; à ce compte, une simple lecture des poèmes de Barbier risquerait de ne pas nous apprendre grand’chose sur son état moral, et ceux qui ne l’ont point connu ne sauront ce qu’était l’homme et ce qu’il valait qu’en s’adressant à ses livres de prose. Dure nécessité; mais, je le répète, on ne connaîtra qu’à ce prix les scrupules orthodoxes de Barbier. Les Iambes sont un cri