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proposent de constituer. Un projet est actuellement déposé devant les chambres qui a pour objet d’employer un crédit de 50 millions de francs à l’achat, par voie d’expropriation, de 400,000 à 500,000 hectares de terres aux Arabes et à la constitution sur les terres ainsi acquises de centres européens. L’exécution de ce projet nous paraîtrait l’acte le plus préjudiciable à notre colonie. Si quelque ennemi de la France se proposait de nous affaiblir, de compromettre notre puissance en Afrique, il n’eût pu mieux faire que d’inventer et de faire appliquer un plan de ce genre. Ce procédé est aussi brutal et violent qu’inutile; la colonisation n’en éprouverait aucun avantage sérieux et la paix de l’Algérie en serait compromise pour toute une série de générations.

L’élément européen agricole est déjà considérable dans notre province d’Afrique. Les colons possédaient en 1879, d’après les statistiques officielles, 1,012,333 hectares; c’est une superficie à peu près égale à deux de nos départemens moyens de la France continentale ; c’est bien là un territoire de quelque importance si on sait convenablement le mettre en valeur. Depuis 1679, il a dû s’accroître de 150,000 à 200,000 hectares. Le domaine, en effet, a accordé annuellement des concessions de terres pour 40,000 à 50,000 hectares, et, en outre, les colons ne cessent pas d’acheter des terres aux indigènes par des transactions amiables. On peut ainsi estimer que les Européens possèdent en Algérie 1,200,000 hectares aujourd’hui. Si la culture était dans ce pays aussi perfectionnée que dans la France continentale, la population agricole européenne pourrait s’élever à 400,000 âmes environ, à raison de 2 hectares 1/2 par tête, ce qui est la proportion dans nos campagnes, qui ont plus de 20 millions d’habitans pour 52 millions d’hectares, dont un bon tiers sont des forêts et des terrains de montagnes. Rien ne s’oppose à ce que la culture soit aussi intensive en Algérie qu’en France; le sol algérien, si on sait y ménager et utiliser les cours d’eau, se prête mieux que le sol de la France continentale aux productions potagères, et sur presque toute l’étendue du Tell il est susceptible d’être planté en vigne, la culture intensive et rémunératrice par excellence. Ainsi les 1,200,000 hectares de terres que possèdent les Européens pourraient, un jour prochain, si ce n’est maintenant, suffire à une population agricole européenne de 400,000 âmes environ, tandis que, au 1er septembre 1878, les colons ruraux, y compris leurs familles, n’atteignaient que le nombre de 138,510; à l’heure actuelle, il doit s’élever à 170,000 environ. Par un progrès dans la culture, il pourrait aisément doubler. Mais, en dehors de toute espèce d’expropriation, les terres des Européens augmentent chaque année par les achats amiables aux indigènes.

Quand les Français descendirent en Afrique et que, après quelques