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française qui capitule, un empereur qui se laisse prendre ; tout tombe à la fois, » écrivait Mérimée à Panizzi. Ce qu’on allait faire, ce qu’on allait tenter ne pouvait que rendre plus profond l’abîme où nous nous engloutissions. A-t-on manqué à ce point de clairvoyance qu’on ne l’ait pas compris ? La libre pensée a-t-elle compté sur un miracle, comme la naïveté a cru à sainte Geneviève ? La faute, le crime furent rejetés sur l’empereur, c’est naturel. Après Novare, les Italiens ont fusillé le général Ramorino et ont dit : « Lui seul était coupable et non pas nous. » Il ne faut pas demander à un peuple blessé jusque dans ses moelles d’être impartial. Dans le conseil des ministres où la guerre fut résolue, deux hommes s’y sont opposés, M. Segris et Napoléon III. Qu’importe ? Victorieux, il eût récolté la gloire ; vaincu il a ramassé la honte, c’est justice ; ainsi l’exige la responsabilité du pouvoir : on n’est souverain, — souverain élu, — qu’à la condition tacite de disparaître en cas de défaite. Après Sedan, après la capitulation que l’on sait, l’empereur ne pouvait plus s’asseoir sur le trône de France ; pour le faire rentrer au palais des Tuileries, il eût fallu une nouvelle révolution.

J’ai entendu dire souvent que la politique de Napoléon III avait été une politique d’aventure, incohérente, sans but déterminé, s’inspirant de la mauvaise devise Carpe diem. Pour la politique intérieure, cela est possible et je n’ai rien à en dire, car je n’y ai jamais regardé de bien près ; je l’ai trouvée souvent oppressive et lourde, mais je l’ai trop ignorée pour en parler. Quant à la politique extérieure, il me paraît que l’on s’abuse ; les démonstrations ont été trop éclatantes pour ne pas frapper les yeux, et cette politique me semble n’avoir jamais poursuivi qu’un seul résultat, la grandeur et la sécurité de la race latine. La question d’Orient se réveille à Bethléem par un fait qui intéresse exclusivement la religion latine, toujours menacée, toujours dominée dans ces pays-là par la religion grecque ; il en advint la guerre de Crimée, une des plus glorieuses par ses difficultés mêmes pour les armées françaises. Napoléon III profite immédiatement de la prépondérance que lui mérite le traité de Paris signé après la prise de Sébastopol, pour faire défoncer le lac latin, la Méditerranée, percer l’isthme de Suez et ouvrir aux mannes latines la route directe de l’Océan indien. En Italie, il repousse l’élément germain qui opprime une famille de la race latine, et prépare la libération définitive qui rejettera l’étranger dans ses limites. En Cochinchine, il essaie de fonder une colonie où le latinisme pourra se développer à côté des possessions anglaises. Au Mexique, il cherche à rétablir l’empire latin que l’Espagne a perdu et qui pourrait servir de contrepoids à l’agglomération anglo-saxonne de l’Amérique du Nord. Enfin, où tombe-t-il ? où vient-il briser sa couronne et détrôner sa dynastie ? Au Rhin, au fossé même de la race latine. Pendant