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établissemens ne m’a paru digne d’un pays où, en matière de bâtimens publics, on fait si grandement les choses. Il ne m’a pas semblé non plus, dans une visite bien rapide, il est vrai, que les pensionnaires de ces établissemens fussent l’objet de ces soins, de ce souci moral auxquels les pauvres et les malheureux ont droit. Je sais bien que la charité officielle est par elle-même toujours un peu rude et inattentive. Je citerai cependant, dans cet ordre d’idées, un petit fait qui m’a frappé. Le bateau à vapeur sur lequel je suis revenu de Blackwell-Island à New-York appartient à l’administration et sert au transport des approvisionnemens. Parmi des caisses de toute nature qu’au moment du départ on embarquait à bord un peu pêle-mêle, j’en remarquai deux ou trois de forme étroite et longue qu’on rangea au milieu des autres et sur lesquelles on jeta, pour les préserver de la pluie, un morceau de grosse toile d’emballage. Un peu intrigué, je demandai ce que pouvaient bien être ces caisses. On me répondit que c’était les cercueils d’individus morts à l’hôpital qu’on ramenait à New-York, et que, si le lendemain ils n’étaient pas réclamés par les parens des défunts, ils seraient conduits au cimetière. Certes, je ne veux pas insister sur ce détail, car il faut toujours que l’on transporte des cercueils d’une façon quelconque, mais il me semble cependant que ce transport aurait pu se faire avec plus de respect. Oh ! combien, par tous pays, la condition humaine est dure aux pauvres, aux vrais pauvres, et combien sont trompeuses ces promesses d’égalité auxquelles il n’est pas jusqu’à la mort elle-même qui ne vienne donner un dernier démenti !

Après avoir rendu visite à la débauche et au crime, j’ai voulu aussi rendre visite à la misère. Pour y arriver, je me suis adressé au président de la société pour la protection des enfans (Childrens Aid Society), M. Loring Brace, auteur d’un livre sur les classes dangereuses à New-York. La société fondée par M. Loring Brace est bien connue non-seulement à New-York, mais à Paris même, de tous ceux qui s’intéressent à la question de l’enfance, bien que ce soit peut-être à tort qu’on ait cru trouver dans les institutions créées par elle un modèle à imiter dans notre pays. Il existe, en effet, à New-York, comme au reste dans toutes les grande » villes américaines, une race d’enfans dont je ne connais pas l’équivalent chez nous. Ce sont les news boys, et les blacking boys, c’est-à-dire les garçons qui vendent des journaux (il y a aussi des petites filles qui se livrent à cette industrie) et ceux qui cirent les souliers, deux métiers que rendent également profitables, d’une part le besoin que tout Américain éprouve de lire plusieurs journaux par jour, et d’autre part, la prodigieuse saleté des rues de New-York. Ces enfans sont généralement des orphelins ou des enfans que leurs parens ont