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n’est possible s’il n’a été préparé : il suffit, pour rendre tout le travail d’une mine inutile, que la vigilance de l’ennemi la découvre, qu’une erreur de calcul l’ait mal dirigée, qu’elle éclate à un mauvais moment ou sans une force suffisante. Aussi l’arme blanche n’est-elle pas plus l’arme principale des batailles que la mine n’est l’arme principale des sièges. L’éperon et la torpille ont, dans la guerre maritime, une importance et une sûreté moins grandes. Leur force, à la fois nulle contre le littoral et excessive contre les bâtimens de commerce, qu’il faut capturer et non détruire, est sans emploi dans les actes les plus importans de la guerre maritime ; elle sert uniquement aux luttes entre navires : encore faut-il que les adversaires attaquent de près pour agir par les torpilles, et, pour s’atteindre par l’éperon, se touchent. Est-ce ce genre de lutte que d’ordinaire le plus fort imposera à l’autre ?

Après l’invention des blindages et avant l’emploi des torpilles, l’éperon fut un instant la seule arme efficace contre des navires que n’entamait plus le canon. Brusquer l’action par le choc offrait une chance à ceux qui n’en espéraient aucune d’un duel prolongé d’artillerie. À Lissa, Tegethof eut raison de se précipiter sur les vaisseaux ennemis, parce que son armement ne lui permettait pas de soutenir la lutte à distance. La flotte italienne fut imprudente d’accepter une mêlée où disparaissaient ses avantages d’invulnérabilité et de tir ; en maintenant à bonne portée ses cuirassés, elle aurait, sans courir aucun risque, mis hors de combat les navires en bois. Le combat par le choc a perdu ses derniers avantages le jour où les bâtimens ont su lancer la torpille. Avec cette arme, si incertaine dès qu’elle a à parcourir dans la mer une longue route, si redoutable quand le trajet est court, la difficulté n’est pas de détruire, c’est d’atteindre. Or la disance diminue jusqu’à disparaître entre des navires qui manœuvrent pour se heurter et, dans les derniers instans de leur course, les torpilles jetées de leurs bords éclateront à bout portant et, par suite, à coup sûr. Avant qu’ils se heurtent, l’explosion aura entrouvert l’un ou l’autre et, comme il n’y a aucune raison pour que leur promptitude et leur adresse soient inégales, selon toute apparence, ils se frapperont ensemble. Aborder l’ennemi n’est plus porter la mort, c’est la chercher. Des circonstances peuvent ne laisser ouverte que cette voie, comme elles ont parfois commandé à des capitaines de se faire sauter. Mais les désespoirs du courage ne sont pas des modes réguliers de combat.

La torpille fait obstacle non-seulement aux actions par le choc, mais encore aux luttes à petite portée. Sortie du flanc des navires à hauteur ou au-dessous de leur flottaison et capable de fournir entre deux eaux une course de près de 1,000 mètres, elle étend jusque-là, dans toutes les directions, la menace d’une foudre invisible. Si,