Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/884

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour s’atteindre, ils pénétraient dans cette zone, les vaisseaux s’exposeraient, non-seulement au danger que le courage accepte, mais au hasard dont a peur le courage éclairé. Là, ni la solidité des assemblages, ni l’épaisseur des cuirasses, ni la puissance des pièces ne donneraient de sauvegarde, et, comme l’embarcation la plus mal construite et la plus mal armée n’est pas moins apte à lancer la torpille, les bonnes chances seraient aux bâtimens médiocres, les mauvaises aux bâtimens forts. Plus ils représenteront de puissance et de richesses, plus ils éviteront un genre de lutte où ils les joueraient sans les employer, et qui ramènerait le métier des armes à la barbarie. S’ils veulent se tenir hors de l’action des engins sous-marins, à plus de 1,000 mètres, il leur reste un seul moyen d’attaque, l’artillerie. Or dans les combats d’artillerie, toutes les supériorités reprennent leur importance ; aucun effort fait pour les accroître n’est perdu et les chances de succès se mesurent à la perfection de l’ensemble. Un navire l’emporte-t-il par la vitesse, il se maintient à la distance la plus favorable de l’ennemi. Par la portée des pièces, il atteint sans être touché. Par leur nombre, il fait plus de mal qu’il n’en reçoit. Par la solidité de sa structure, il résiste à plus de coups. Par l’épaisseur de sa cuirasse, il devient invulnérable. plus une marine sera puissante, plus elle luttera par le canon. Si nul instrument de guerre n’est aussi parfait, nul n’est utile en tant de circonstances. De même qu’il décide des batailles navales, il peut seul agir contre les côtes, contre les troupes ou les ouvrages du littoral et même contre les navires de commerce, car sa violence a des degrés ; il sait menacer sans atteindre et atteindre sans détruire ceux qu’il suffit d’arrêter. En résumé, toute arme qui agit seulement de près, si puissante soit-elle, est secondaire : la principale est l’arme efficace à toute distance, dans toutes les sortes de guerre, dans tous les périodes de combat.

Il était naturel que chaque peuple, pour s’assurer la prépondérance, songeât à accroître la portée et la justesse de cette arme. Dès qu’ils le voulurent, ils se divisèrent : les uns se proposant de disjoindre par écrasement les surfaces attaquées plutôt que d’y faire trou, les autres de pénétrer les murailles en certaines places plutôt que d’ébranler l’ensemble. L’artillerie contondante maintint les pièces lisses, les boulets ronds, et chercha son progrès dans l’augmentation des volumes ; mais la plus gigantesque création des Américains qui s’obstinèrent dans cette erreur, le fameux canon de 20 pouces, ne portait pas à plus de 5.000 mètres, malgré ses 0m,50 de calibre. Pendant ce temps, l’artillerie perforante, inventée par le génie français avec la rayure et perfectionnée par des progrès successifs en Angleterre et en Allemagne, atteignait une justesse dix fois plus grande et une portée de 12,000 mètres. Dès ses