Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comparer leur valeur absolue de masses couvrantes, l’avantage n’appartiendrait pas au charbon. Sa supériorité est de former à la fois une défense et un approvisionnement. Il est vrai, à mesure que l’approvisionnement se consomme, la défense s’amoindrit, mais soit que les bâtimens aillent chercher la lutte sur la côte ennemie, soit qu’ils l’attendent immobiles en un point des mers, leurs soutes prolectrices ne seront pas vides durant les premières et décisives opérations : c’est seulement dans la suite des campagnes et si les ports de ravitaillement sont interdits, que les navires consommeront leur réserve, et contre des adversaires supérieurs en force, cet approvisionnement leur fournira le meilleur secours en leur donnant la supériorité de vitesse. Or il n’est pas impossible de ménager 3 mètres entre les machines et les murailles extérieures des grands navires. Un matelas de charbon de cette épaisseur autour des appareils moteurs les protège comme une plaque de 20 à 25 centimètres ; il les rend impénétrables au canon de 1h et à ses analogues. Contre une artillerie de ce calibre ou de calibres inférieurs, le blindage a donc pu disparaître, mais encore ce n’est pas qu’il fût inutile, c’est qu’il était remplacé par une cuirasse de charbon. Ce progrès mettait à découvert les batteries : mais les navires destinés à lutter contre une artillerie moyenne ne possèdent qu’une artillerie d’égales proportions. Or les pièces, jusqu’au calibre de 24, peuvent être servies par la main de l’homme. L’affût et le canon forment un ensemble assez solide pour que les éclats d’obus ne fassent pas grand mal à ces blocs métalliques ; il faut, pour les mettre en péril, des coups directs, et ces coups sont rares ; enfin, les pièces moyennes sont toujours en nombre suffisant pour que la perte de l’une d’elles n’affaiblisse pas à l’excès l’armement du navire. Ainsi s’est dégagée du blindage une flotte dans laquelle, sauf les pièces, tout est protégé : la coque contre la mer, les machines contre le canon.

Mais il y a en service des pièces de 70, de 80 et de 100 tonnes. Pour abriter contre elles les machines par du charbon, il faudrait le disposer sur une épaisseur d’au moins 10 mètres. Quand on parviendrait à restreindre ainsi les appareils évaporatoires pour faire place autour d’eux à des soutes de capacité suffisante, on laisserait les armes hors de protection. Les navires exposés à la grosse artillerie en portent une semblable : non-seulement le maniement de ces canons, mais le transport de la charge et des projectiles exigent des moyens mécaniques, et les mécanismes font de la pièce un organe aussi délicat que l’appareil à vapeur. Qu’un projectile, sans la toucher, éclate à sa portée, que le moindre fragment fausse une tige ou crève un tuyau, c’est assez pour éteindre le feu du plus gros canon, et comme un navire ne porte qu’un fort petit nombre de pareils engins, il suffira d’un hasard probable pour le