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navires d’opérer sur un point fixe, de faire tête à tout adversaire, telle est la grande utilité du blindage, mais non la seule, et le navire qu’il protège y trouve un secours, quels que soient les adversaires, contre les torts pour compenser sa faiblesse, contre les faibles pour sauvegarder sa force.

Admettre le blindage, c’est se résigner à l’augmentation des cuirasses et à l’accroissement des calibres. L’un et l’autre subissent, depuis quelque temps, un arrêt, et les deux nations qui les avaient développés davantage prennent aujourd’hui pour tâche, l’Angleterre d’obtenir d’égales résistances avec des plaques moins épaisses, l’Allemagne d’obtenir d’égales perforations avec des pièces moins pesantes. Des résultats précieux ont été obtenus, mais ne serait-ce pas une erreur de conclure que la grandeur des dimensions a atteint son terme ? Le mouvement du progrès semble l’oscillation d’un pendule : il va, sans jamais se fixer, de l’un à l’autre élément de la force. Quand les poids et les volumes paraissent à leur limite, la supériorité est cherchée dans des combinaisons plus parfaites de formes et de matières. Mais quand la perfection des produits touche à son tour le terme où la science s’arrête, la volonté de l’emporter anime encore les nations rivales ; les poids et les volumes recommencent à croître. Avant ses tentatives actuelles, le génie anglais avait fait étudier des canons de 160 et de 200 tonnes. Il n’y a guère d’incertain que la date où il les exécutera, et la raison n’assigne à ce mouvement qu’une fin : une pesanteur d’artillerie et de cuirasse telles que fassent défaut des coques capables de naviguer en la supportant. Ce serait, dit-on, la victoire des canons sur la cuirasse, conséquence vraisemblable, et une conséquence plus importante encore suivrait : la victoire de la fortification terrestre. Comme elle n’a pas à craindre que le soi s’engloutisse sous elle, elle continuerait à se développer, et la marine, déjà incapable de participer aux guerres sur le continent, devrait s’interdire la guerre de siège sur le littoral. Mais cette déchéance n’est pas proche, et sur terre comme sur mer de grands résultats se préparent pour les flottes les mieux armées.

Pourtant il se trouve tantôt des circonstances où les navires ne peuvent se servir de leur force, tantôt des circonstances où leur force ne peut leur servir. On a vu combien elle leur est superflue dans les combats de torpilles, et que la prudence commande de ne pas les exposer. « Comme les brûlots, disaient nos anciennes instructions, sont destinés à être sacrifiés, ce sont ou de vieux navires, ou des navires faits légèrement et de bois de rebut. » De même, pour se glisser par surprise à petite portée de l’ennemi, lancer la torpille, arrêter les embarcations que cet ennemi dirigerait contre les vaisseaux de combat, se hasarder dans les parages garnis de défenses